"Si l'art n'a pas de patrie, les artistes en ont une." Camille Saint-Saëns

"Un seul rêve est plus puissant qu'un millier de réalités." J.R.R. Tolkien

samedi 1 décembre 2012

Tournoi des Nouvellistes - Huitième de finale n°5 : Caliope / Christian Perrot


Vous trouverez ci-dessous le planning du tournoi actualisé. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.





Pour en savoir plus sur les auteurs, rien de mieux que de se rendre sur leur site / blog / page facebook. 
Pour connaître les adresses, 
rendez-vous à cet endroit.


Jérémy Semet a remporté, face à Valérie Simon, le 4ème huitième de finale. Il est donc qualifié pour le tour suivant. Félicitations à celui-ci mais aussi à Valérie pour sa très belle nouvelle. Nous espérons la lire à nouveau très bientôt ! 

J'en profite aussi pour annoncer que la nouvelle gagnante du concours sera publiée non seulement sur le blog Nouveau Monde mais aussi sur les blogs YmaginèreS et Ascadys.
Voici à présent les deux nouvelles suivantes du Tournoi des Nouvellistes. Lisez-les et votez ensuite, grâce au module situé tout en bas de cet article, pour votre texte préféré. Vous avez une semaine, jusqu'au vendredi 07 décembre 2012, 23h59, pour voter. Celui qui aura obtenu le plus grand nombre de votes l'emportera et sera qualifié pour le tour suivant tandis que son concurrent sera éliminé.

N'hésitez pas à donner votre avis sur ces nouvelles dans un commentaire, en fin d'article. Pour cela, cliquez sur le titre de l'article pour voir ce dernier en entier et descendez jusqu'en bas. Un espace réservé aux commentaires s'y trouve.

Bonne lecture et bon tournoi à tous !  


Huitième
de finale
n°5



nouvelle n°9
Le Maître des illusions
de

Elles roulèrent toute la nuit dans l’ivresse et l’ineptie de la jeunesse. Leur destination était Prudencia, une ville près de Minneapolis, mais le destin, loi supérieure régissant toute existence, les emmena outre les frontières du réel.
Le ciel s’éclaircit progressivement. Quelque part à lest, le soleil s’était levé. Aretha ouvrit les yeux et jura. Elle était au volant du cabriolet de Lily et s’était endormie une fois de plus. Dieu soit loué, la route était un long chemin rectiligne. Certes, cette fois elle les garderait bien ouverts parce que conduire à l’aveugle n’avait jamais été recommandé !
Lily était assise sur le siège passager. Elle dormait. Une carte routière reposait sur ses jambes où elle avait surligné en rouge la route qu’elles avaient parcourue depuis leur départ.  A l’arrière, Kate comptait les moutons en attendant que ses maux de tête et de ventre passent. Boire n’avait parfois rien de bon surtout lors des mélanges.
— Combien ? demanda Aretha.
— Trois cent trente-trois moutons, dit Kate dont la voix était enrouée. Trois cent trente-quatre moutons, trois cent trente-cinq moutons, trois cent trente-six moutons, trois cent trente-sept moutons, trois cent trente-huit moutons, trois cent…
Aretha  freina brusquement et Kate dégringola du siège arrière. Lily partit en avant et fut retenue par la ceinture de sécurité.
— Rétha, Rétha, Rétha ! brailla Kate. C’est quoi cette putain de conduite ?!!
— Wowow, calma Lily. Arétha pourquoi as-tu…?
— Les filles, d’où vient…ce brouillard ?
Une brume épaisse avait instantanément enveloppé la voiture. Aretha était incapable de voir au-delà du capot de la voiture, ni même à dix centimètres au-delà de son carreau. Elle coupa le moteur mais laissa allumer les phares.
— Et maintenant ? demanda Lily.
— Je vais voir dehors, pas de conneries. Attendez-moi sagement là, recommanda Aretha.
— Prends garde aux moutons, plaisanta Kate.
La jeune fille ouvrit la portière et sortit. L’atmosphère semblait électrique, l’air était presque irrespirable et une triste odeur emportée par la brise contracta son estomac. Elle se retint de vomir plusieurs fois.
Elle ne distinguait rien tant le brouillard était opaque. Elle contourna la voiture et se rendit compte d’une chose extraordinaire ; si elle s’éloignait un peu de l’auto, ne serait-ce que d’une vingtaine de centimètres, celle-ci disparaissait, englobée par la brume.
Elle revint sur ses pas, près des phares et distingua le bitume de la route.
— Alors ? dit Lily par la fenêtre entrouverte.
Aretha regagna son siège.
— Je n’ai jamais vu un brouillard pareil. On peut se perdre à dix centimètres de la caisse.
— Faut peut-être attendre que ça passe, non ? interrogea Lily.
— C’est ce que je pense aussi. En même temps…j’espère que personne ne nous percutera.
— T’as vu mes trois cent soixante et un moutons ?
— Reviens sur Terre, Kathleen ! cria Aretha. Les moutons c’est dans ta tête ! On va verrouiller les portières et dormir un peu. Ce brouillard va bien finir par se lever !
Elles fermèrent les portes et laissèrent les veilleuses de la voiture allumées.

Lily se réveilla la première. Le brouillard était toujours présent mais beaucoup plus sombre, comme si la nuit était venue pendant leur sommeil. Elle secoua Aretha qui s’éveilla lentement en réalisant que la situation était restée la même.
— Quatre heures et c’est toujours là…
— Non, dix minutes qu’on a dormi, rectifia Lily.
— Ma montre indique qu’il est onze heures deux.
— La mienne qu’il n’est que sept heures et des minutes. Ma montre déconne peut-être mais ce fichu brouillard est toujours là, peut-être qu’on devrait finalement rouler et faire attention, voir ce qu’il y a après. On va bien finir par sortir du brouillard, hein ?
— Bonne idée, répondit Aretha avec évidence. Mais pour moi il est onze heures, ce qui signifie que c’est à Kate de conduire mais comme elle n’est pas en état…
Lily darda Kate, couchée, la tête dans les nuages. Non, elle n’était vraiment pas en état.
— Je vais prendre la relève ! annonça-t-elle vivement. Tu me devras ça, Kate !
Aretha et Lily échangèrent leur place.
— C’est toi qui a le volant, c’est donc à toi de prendre les décisions ! ajouta Aretha, se déchargeant de toutes responsabilités.
Lily fit signe qu’elle avait reçu le message, cinq sur cinq. En même temps, il en avait toujours été ainsi entre elles. Celle qui était au volant avait carte blanche quant à la destination et aux moyens pour la rejoindre.
Elle tourna la clé et fit ronronner le moteur, appuya sur l’embrayage, passa une vitesse et accéléra. C’était une vieille auto que son oncle avait ramenée de France. A sa mort, Lily l’avait reçue en héritage. Elle aimait beaucoup cette voiture même si les voitures américaines étaient bien plus faciles à conduire.
Aretha, Kate et Lily portaient toujours leur robe de soirée et leur maquillage qui, au fil des heures, avait suinté le long de leurs joues. Elles s’étaient faites cette promesse depuis plusieurs années, celle de quitter leur ville natale pour ne jamais y revenir. Elles ne voulaient pas de la vie de leurs parents. Naître, vivre et mourir à Laceelake. Naître, vivre dans une ville où tous se connaissaient, où les secrets n’en étaient pour personne, où leur seul avenir serait de travailler en tant que factrice, caissière, femme de ménage ou mère au foyer.
C’était ces raisons qui avaient poussées ces trois jeunes amies à quitter Laceelake le soir de la fête du lycée. Lily possédait une voiture et avait un pied à terre à Prudencia. Un peu plus de mille kilomètres les séparaient de leur ville natale. Elles en avaient déjà parcourus six cents à tour de rôle.
— Retha ? appela Lily.
— Oui.
— J’entends quelque chose venant de dehors…
Aretha baissa sa vitre et tendit l’oreille. Quelque chose semblait frotter les parois de l’automobile. Elle roulait à moins de trente kilomètres heures. Puis un bêlement assourdi retentit, un second, suivit de dizaines. Les plaintes cessèrent brusquement.
— Je ne rêve pas là, c’est des moutons qu’on entend, dit Kate qui cherchait à les apercevoir. Je crois qu’ils sont autour de la voiture !
Lily ralentit et se rendit compte que le brouillard faiblissait. Des moutons à perte de vue entouraient la voiture en une marche silencieuse. Lily en vit quelques uns contre sa portière et lâcha un cri de terreur à la vue de leurs yeux d’un blanc laiteux.
— Ils sont aveugles ou quoi ? cria-t-elle. C’est monstrueux !
— Je ne sais pas, répondit Kate, mais celui-là on peut dire que c’est le roi des moutons, ajouta-t-elle en désignant un gigantesque mouton de la taille d’un éléphant, qui se tenait devant la voiture.
Lily et Aretha se demandèrent sérieusement si elles ne subissaient pas une hallucination collective. La voiture passa dessous le grand mouton et aussitôt le brouillard disparut. Elles regardèrent derrière elles et Lily appuya sur l’accélérateur pour mettre de la distance entre elles et lui.
Maintenant, elles se trouvaient sur une route bordée d’arbres. Le ciel était bleu lavande et sur leur droite, une immense sphère orange illuminait l’horizon en un dégradé de rose. C’était le soleil mais elles ne s’en rendirent compte que des minutes plus tard. Jamais elles ne l’avaient vu dans une orchestration de nuances aussi belle.
— Bon sang, on est où là ? se plaignit Aretha.
Elle reprit la carte routière et se souvint des quelques villes qu’elles avaient franchies mais elle ignorait totalement où elles étaient à présent.
— Y a une maison là-bas, dit Lily en plissant les yeux. Qu’est-ce qui est écrit sur la pancarte ?
— Auberge du Temps Mort, lut Kate comme la voiture se rapprochait des lieux. Quel nom accueillant !
— On doit s’arrêter, répliqua Aretha. On a presque plus d’essence, on doit refaire nos réserves et savoir où on est.
— Okay, ajouta Lily. Mais dès qu’on a ce qu’il nous faut, on s’en va. Cet endroit ne m’inspire pas confiance.
Elle se gara et contempla l’imposante bâtisse en bois. Son aspect inquiétait, on aurait dit que la maison était abandonnée mais une étrange lueur rouge vacillait par une fenêtre. Un escalier recouvert de lichens invitait à entrer dans l’auberge en ruine. A droite, il y avait une pompe à essence et un puits.
— Il ne m’inspire pas confiance non plus, bredouilla Aretha.
Elles descendirent du cabriolet. Aretha prit les devants, suivit de Kate qui marchait maladroitement. Elles entrèrent les premières ; Lily était restée derrière.

L’intérieur était sombre et si poussiéreux qu’une fine couche grise recouvrait chaque table, chaque dossier de chaise, le comptoir et le bar.
Soudain quelque part sur leur droite une main tenant une cigarette s’éleva dans l’ombre. Les deux filles tressaillirent.
Un vieil homme à l’aspect sec était assis sur une chaise et ses pieds reposaient sur un tabouret. Il avait les yeux clos et portait des vêtements recouverts totalement de poussière, comme s’il était assis là depuis des lustres. Il fuma la cigarette dont l’extrémité s’embrasa légèrement et ouvrit les yeux l’un après l’autre.
— Vous désirez mesdemoiselles ? demanda-t-il d’une voix rugueuse.
— Essence, indiqua Aretha. Nous voulons faire un plein d’essence.
L’homme se leva. Ses os et ses vêtements craquèrent comme du carton. Il chassa la poussière qui le recouvrait : une fine neige grise vola dans l’air. Aretha songea qu’il devait approcher la soixantaine. Il était grand et maigre, légèrement barbu et ses cheveux étaient gris-blancs.
— Laissez-moi aller remettre la pompe en marche, elle n’a pas fonctionné depuis longtemps. En attendant, vous boirez bien un petit quelque chose ?
— On ne veut pas vous déranger, monsieur, dit Kate d’une manière timide.
— Non, vous ne nous dérangez pas. Nous sommes toujours contents d’avoir de la visite. Ça nous change du quotidien. Allez !
Puis se tournant vers un escalier que les deux filles n’avaient pas remarqué tant la pièce était sombre, l’homme se mit à crier :
— Ethan ! Réveille-toi, maudit gamin ! Viens donc tenir ton rôle de barman ! Ethan, tu m’entends ?
Un jeune garçon descendit, le teint si pâle qu’il en était presque effrayant. Il rejoignit l’arrière du comptoir avec une désinvolture étonnante. Lily entra à ce moment et salua silencieusement les deux hommes.
— Je vais m’occuper de la pompe, dit l’homme avant de sortir de la pièce.
Le dénommé Ethan s’absenta une seconde et revint vêtu d’un tablier. Il sortit un torchon et dépoussiéra trois tabourets sur lesquels les filles s’installèrent. Il saisit deux bouteilles aux verres colorés et jongla avec.
— Bravo, applaudit Kate.
Aretha lança un regard à son amie. Elle n’avait qu’une hâte, faire le plein d’essence et reprendre la route. L’aspect des lieux ne la mettait pas à l’aise.
— Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? demanda le garçon après avoir reposé les bouteilles.
— Une solution miracle contre la gueule de bois, je suis prenante, répondit Kate.
— J’ai, assura le barman en souriant. Trois remèdes alors ? 
— Seulement un, précisa Aretha. Ça à l’air abandonné ici ! Toute cette poussière…
— Ouais, abandonné, oublié. Personne ne passe plus par ici, cet établissement n’a vraiment pas lieu d’être et pourtant il est là.
— Et où sommes-nous exactement ? interrogea Lily. Nous avons dépassé Dasherbrowe et puis nous sommes passés à travers un épais brouillard.
— Nous sommes à quelques kilomètres de Natland. Mais ne me demandez pas quel chemin il faut prendre. Le simple fait de vouloir aller quelque part nous empêche tout déplacement.
— Que voulez-vous dire ? reprit Aretha.
— Que d’ici on ne peut aller nulle part, répondit le garçon.
Il sortit un verre et le passa sous l’eau froide. Puis il versa une quantité de jus de couleurs différentes avant de tendre le verre à Kate.
— Buvez, d’un trait ! Ça peut paraître fort écœurant mais c’est aussi fort radical !
Kate saisit le verre et le but. Elle faillit s’étrangler et couru à l’extérieur, vomir tout ce que son corps avait absorbé d’alcool.
— Ne vous inquiétez pas, dans une heure tout au moins elle aura dégrisé.
Aretha opta pour un cocktail de fruits et Lily demeura dans le silence, perdue dans le regard du jeune barman. Elle avait eu un petit ami qu’elle avait laissé derrière elle. Jimmy n’avait pas compris ce qui l’effrayait de la vie à Laceelake. Le même train train quotidien qu’elle ne voulait pas affronter… Jimmy lui manquait et Jimmy ressemblait énormément à ce barman.
— Et vous ? lui demanda-t-il.
Mais elle ne répondait pas, comme si son esprit était ailleurs…
— Lil ? appela Aretha. T’es avec nous ?
— Euh, oui, dit-elle en revenant soudain à la raison, les joues rosies. La même chose, un cocktail de fruits, merci.
Avant que leur verre ne se vide, Kate rentra, le teint blême.
— Je vais bien, dit-elle à ses amies. Je crois que ça a fonctionné, les moutons ont disparu définitivement et je me sens mieux.
— Parfait ! déclara la voix rugueuse du vieil homme. La pompe fonctionne ! Ethan, allez !
Le garçon dénoua son tablier et le rangea avec soin. Ensuite, il demanda à l’une des filles de l’accompagner. Lily se dévoua, intéressée. De plus, c’est elle qui possédait les clés.
Ils allèrent jusqu’au cabriolet pour y chercher des bidons. Ethan les remplit sous l’attention de Lily.
— Tu es son homme à tout faire, on dirait ! plaisanta-t-elle pour faire la conversation.
— Oui, son barman, son maitre d’hôtel, sa femme de ménage, son cuisinier, son barbier, son tout ce qu’il veut en somme.
Lily regarda l’auberge et la route d’où elles venaient.
— Tout à l’heure, tu as dis que d’ici on ne peut aller nulle part mais cette route va bien quelque part, non ?  
— Elle va vers la fin du monde, répondit-il.
— La fin du monde, répéta-t-elle incrédule. Sérieusement ?
— Je suis parti de Boston en direction de Natland. Un évènement majeur s’y prépare et je veux être là quand ça arrivera. Sauf que je me suis retrouvé là, j’ai suivi la route et au bout, il n’y rien d’autre que le néant, le vide.
— Nous avons traversé un épais brouillard et vu un gigantesque mouton ! Alors, la fin du monde, je peux bien y croire même si ça semble inconcevable.
Le soleil disparut à l’horizon et le ciel se tinta de bleu marine. Des aboiements s’élevèrent dans le silence et Ethan déclara qu’il fallait rentrer se mettre en lieu sûr. Aussitôt une brume épaisse s’installa.
— On peut y aller ? demanda Aretha pressée. Le plein est fait ?
— Oui, répondit Lily. Mais le brouillard est arrivé et…
— De sombres créatures rôdent la nuit venue. Vous n’y survivriez pas, je vous le garantie, ajouta le vieil homme sur un ton honnête. Ici vous êtes en sécurité. Ethan ? Prépare trois chambres. Demain aux premières lueurs du jour, vous pourrez aller où bon vous semble.
Cette idée ne plaisait pas particulièrement à Aretha mais elle acquiesça.
— Nous prendrons une chambre avec un grand lit, si vous avez.
— Oui, nous avons ça, assura le garçon.


Kate et Lily se blottirent contre Aretha. Celle-ci dormait toujours au milieu, du fait que ses amies ne passaient jamais une nuit sans se lever une fois pour aller aux toilettes, boire un verre d’eau ou fumer une cigarette. Il arrivait également à Lily de gratter quelques notes sur sa guitare et de chanter. Elles étaient si fatiguées qu’elles avaient sombrées dans un sommeil sans mauvais rêves.
Aux alentours de deux heures du matin, Lily ouvrit les yeux. Sa gorge était sèche, elle avait soif. Elle se leva sans faire trop de bruit et parcourut la chambre à la recherche de la carafe d’eau mais celle-ci était vide ; Kate avait dû se lever avant elle.
Elle enfila le cardigan d’Aretha et sortit de la chambre en direction du bar. Dans le couloir qui menait à l’escalier, elle trébucha sur quelque chose d’énorme et de glacé.
En se relevant, elle s’aperçut qu’elle avait chuté sur Ethan qui dormait adossé contre le mur. Lily haussa un sourcil et se demanda ce qu’il faisait là. S’il vivait dans une auberge, pourquoi ne profitait-il pas de la literie ? La lumière de la lune lui donnait une apparence fantomatique. Il était aussi blanc que la mort et sa poitrine ne semblait pas se soulever.
Il ouvrit les yeux.  
— Je suis désolée de t’avoir réveillé, bafouilla-t-elle. Je ne t’avais pas vu…
Il lui prit les mains et les caressa. Lily avait la forte impression qu’il la désirait.
— Tu es si froid, murmura-t-elle.
Ethan lui fit signe de se rapprocher encore. Leurs regards fusionnèrent et il l’embrassa. Ses lèvres étaient aussi fraîches que de la neige. Il parcourut sa joue et descendit vers son cou. Des crocs acérés se formèrent sur ses canines supérieures et il les planta avidement.
Lily ressentit une vive douleur et se débattit. Le garçon la tenait si fermement, qu’elle n’avait aucun moyen de s’échapper. Elle voulu crier mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle se laissa boire. Son cœur s’emballa et s’arrêta brusquement.
Ethan sut immédiatement qu’elle venait de succomber. La jeune fille n’était pas sa première victime. La peur les saisissait et la mort survenait quelques secondes plus tard. Alors, Ethan les regardait s’éteindre avec une étrange nostalgie comme si lui-même rêvait de partir avec elles… Il aurait laissé partir Lily si elle ne comptait pas déjà pour lui. Il sentait qu’il existait entre eux un lien qu’il ne voulait pas laissé s’enfuir.
Il bascula sur le dos le corps de la jeune fille que la vie venait de quitter. Il ne pouvait pas lui rendre la vie telle qu’elle la connaissait, cela lui était impossible.  Il s’ouvrit les veines et fit couler son sang au dessus de la bouche de Lily. Il n’avait jamais opéré la transformation mais d’autres auprès de lui, l’avait réussie. Il savait qu’il pouvait en mourir mais cela lui était égal. Il devait la tenter car ce lien qui l’unissait à cette jeune fille, il n’en était pas sûr mais il songeait à ce que ça puisse être la plus puissante des magies : l’amour.
Les minutes s’écoulèrent sans qu’il n’y ait aucune réaction. Puis soudain, les mains de Lily saisirent son poignet et le pressèrent contre sa bouche. Elle buvait avec gloutonnerie, elle avait si soif et d’ailleurs, n’était-ce pas la soif qui l’avait éveillée en pleine nuit ?  Lily ne se souvenait pas être descendue au bar, elle n’avait aucune conscience de ce qui lui était arrivée ni de ce qu’elle était véritablement en train de faire. Elle savait qu’elle buvait aussi avidement que si elle tentait d’empêcher la déshydratation de faire tomber son corps en poussière.
Comme tous les premiers nés vampires, elle but jusqu’à l’évanouissement.
Pas une fois elle ne chercha à ouvrir les yeux. Cela plût à Ethan. Il n’aurait pas aimé que sa première vision fut celle d’un jeune vampire à la bouche barbouillée de sang. Il se releva et l’emporta dans la chambre qu’elle avait précédemment quittée. Il la déposa à gauche d’Aretha et remonta la couverture jusqu’au menton. Puis il déposa un baiser sur son front et lui souffla un mot gentil à l’oreille.
Il s’apprêtait à quitter la chambre quand une soif sanguinaire le tirailla de nouveau. Ethan était un vampire et se nourrissait essentiellement de sang mais il n’avait pas pu assouvir ce besoin depuis des dizaines d’années, depuis qu’il était coincé ici. C’est pourquoi son désir de boire était si fort. A chaque fois que des humains s’étaient perdus ici, cette soif insatiable s’était réveillée et l’avait poussé à passer à l’acte. S’abreuver du sang de Lily n’avait pas suffi à le désaltérer, il n’avait absorbé que quelques gorgées.
Il fit marche arrière.
Aretha se retourna mais ne se réveilla pas, entraînant avec elle une partie de la couverture qui dévoila le corps endormit de Kate.
Ethan la regardait d’un appétit féroce. Il savait qu’elle comptait aux yeux de Lily. Il savait que sa disparition la ferait souffrir. Mais il savait également que s’il ne satisfaisait pas sa soif, il deviendrait un animal féroce incapable de se maîtriser, il commettrait des erreurs qui lui seraient peut-être fatales.
Sans un bruit, il se retrouva aux côtés de Kate. Elle dormait tranquillement, encore pleine de vie et de sang. Ethan posa sa main gauche sur son visage afin de bloquer sa respiration et son cri. Car elle crierait. Elle crierait forcément quand elle se réveillerait. Si elle se réveillait. Si elle s’apercevait que quelque chose était en train de lui prendre sa vie. Puis avec vivacité, il se pencha sur le cou et la mordit comme il en était de coutume. Kate s’éveilla et couina. Mais déjà, sa vie la désertait. Elle éprouvait une grande fatigue et elle sentait également que quelque chose la suçait, au niveau du cou, que quelque chose la buvait, lui arrachait de la vie.
Ethan aspira vite et abondamment. Kate avait un goût de Tequila. Le sang des humains avait parfois une saveur particulière, cela dépendait de ce qu’ils avaient  récemment absorbé en quantité. S’il avait bien compris, les filles sortaient à peine d’une fête de fin d’année et Kate était elle-même arrivée légèrement ivre. Le sang lui monta à la tête et il se sentit exalté.
Quand il se releva, la bouche sanguinolente, Kate était morte, les yeux grands ouverts fixés sur le plafond. Elle ne s’était pas débattue, elle s’était laissé partir. Elle avait dû comprendre que toutes tentatives auraient été vaines.
Prenant réellement conscience d’un corps sans vie près de lui, le vampire recula à brûle-pourpoint. Les vampires haïssaient les corps morts comme s’ils portaient une maladie qui pourraient les affecter. Cela leur rappelait également qu’un jour ils avaient été mortels et ils auraient pu mourir si une puissance des ténèbres ne les avait pas, en quelque sorte, sauvés.
Il sortit de la chambre, fuyant la morte, la mort qu’il avait lui-même causée et tomba nez à nez sur le vieil homme qui trouva un garçon tout à fait métamorphosé, comme c’était le cas à chaque fois qu’il prenait une vie.
Ethan n’était plus ce garçon frêle à la peau claire qu’il employait tous les jours mais un jeune homme musclé et viril à la peau bronzée, les yeux rougis par la soif de sang comblée.
Le vieil homme comprit immédiatement ce qui venait d’être fait. Il entra dans la chambre des filles. Toutes les trois semblaient dormir mais une seule était sauve.
Les deux autres étaient perdues. Une était morte et l’autre se transformerait rapidement en vampire.
Par la fenêtre, le ciel s’éclaircissait. L’aube serait bientôt là. Il n’y avait pas un instant à perdre. Le vieil homme ouvrit la porte de la chambre en grand et la calla afin qu’elle se referme pas. Puis il alla chercher une couverture pour y enrouler le corps de la morte. Il prit toutes les précautions pour ne pas tâcher le drap du lit, pour que la fille sauve ne puisse rien déduire de ce qui était arrivé à son amie. Il bascula le corps sur son épaule et le descendit en bas, jusque dans la cour.
— Rends-toi utile, gamin ! cria le vieil homme. Va me chercher leurs clés de voiture !
Ethan remonta dans la chambre des filles. Aretha dormait tranquillement tandis que Lily transpirait. Elle semblait la victime d’une fièvre banale mais en vérité… Il farfouilla dans les sacs et les poches des robes avant de trouver un trousseau de clés. Il descendit avec et les donna au vieil homme qui semblait contrôler toutes les situations possibles. Ce n’était pas la première fois qu’il opérait ce genre de ménage…
Il ouvrit le coffre découvrant plusieurs sacs et demanda au vampire :
— Quels sont ceux de la morte ?
Ethan se pencha sur le coffre et huma dans l’air le parfum caractéristique de sa victime. Il avait un odorat très développé de par sa nature.
— C’est ceux-là, affirma-t-il en désignant les sacs concernés.
— Bien. Prends-les et suis-moi, ordonna le vieil homme.
Ethan s’exécuta.
Ils allèrent jusqu’au puits. Le vieil homme joignit un poids et l’attacha vigoureusement avant de balancer la morte à l’intérieur du trou.
— Jette les sacs, qu’ils disparaissent avec elle pour toujours.
Ils allèrent chercher derrière l’auberge une grosse pierre plate qu’ils placèrent sur le puits, le condamnant pour un bon moment.
— Ramène les clés ou tu les as trouvées et…pas un mot de ce que nous avons fait cette nuit.
Ethan acquiesça et disparut dans l’auberge.

Lorsqu’Aretha se réveilla, elle eut un étrange pressentiment. Elle ne s’était pas réveillée durant la nuit mais elle avait ressenti des mouvements autour d’elle. Elle regarda Lily et sursauta.
— Lily !
Son amie était blanche et des gouttelettes d’eau perlaient sur son visage.
Aretha se tourna vers Kate mais celle-ci avait disparu. Elle s’était sans doute réveillée plutôt, il était presque onze heures et Kate n’était pas une spécialiste des grasses matinées.
Aretha se leva et contourna le lit pour rejoindre Lily. Elle descendit la couverture sur sa poitrine et sursauta encore en effleurant sa peau d’une fraîcheur curieuse. Sa poitrine se soulevait sur un rythme régulier signe évident qu’elle était en vie.
— Lily ? appela-t-elle doucement. Tu m’entends ? … Je ne sais pas ce que tu as attrapé mais c’est bizarre. Je vais aller chercher Kate et on va dégager vite fait d’ici. On ira à l’hôpital et tu te rétabliras. Je te le promets.
Aretha enfila un jean et voulut mettre son cardigan lorsqu’elle s’aperçut que c’était Lily qui le portait. Elle réfléchit, ça n’avait pas de sens. Pourquoi Lily portait-elle son cardigan ? Avait-elle eu si froid cette nuit qu’elle avait eue besoin de l’enfiler ? Elle vit que la carafe d’eau était vide et conclut que Kate ou Lily avait dû se lever avant elle pour la consommer. Malgré tout, les vêtements de Kate étaient posés sur la chaise et elle imaginait mal Kate se balader en sous vêtements dans l’auberge.
— Kate ?
Mais son amie ne répondit pas. Aretha continua de s’habiller, piquant un vêtement de Lily – celle-ci ne lui en voudrait pas, elles étaient comme des sœurs – et descendit au bar.
Le vieil homme était comme elles l’avaient trouvé la veille, assis dans la pénombre, les pieds reposant sur un tabouret et fumant une cigarette. Les volets étaient fermés et aucune trace de son homme à tout faire dans les parages.
— Oui ? dit l’homme sur un ton interrogatif.
— Lily semble malade. Avez-vous vu Kate ? La petite brune qui avait…la gueule de bois, précisa Aretha.
— Elle semblait effrayée, dit l’homme calmement. Elle est partie.
— Partie ?
— Partie, ajouta-t-il en un mouvement de la main.
Aretha sortit de l’auberge. Le brouillard était là mais faible. Rien n’avait changé si ce n’est que sur le puits avait été condamné. Elle descendit l’escalier de lichens avec prudence et se rendit jusqu’à la voiture. Kate ne serait jamais partie sans son attirail de maquillage et ses vêtements de la marque Looking Me.
En tournant la clé dans la serrure du coffre, elle eut un flash. Un souvenir de la veille au moment où elle avait découvert les robes de ses deux amies. Elles étaient toutes les trois brunes mais elles ne se ressemblaient pas pour autant. Kate était la plus petite et rehaussait sa taille grâce aux chaussures à talons qu’elle empruntait à sa mère. Lily avait des origines grecques et un joli visage aux traits fins quand à Aretha, elle était plus âgée d’un an mais aimait qu’on la remarque. Elle se maquillait et mettait des tailleurs, faisait des chignons compliqués. Ce souvenir la rendit nostalgique et l’agaça. Hier, elles avaient été si heureuses et maintenant…

Aretha ouvrit le coffre et constata qu’il manquait des affaires. Etait-ce possible que Kate soit partie ? Pas consciemment en tout cas. Elle n’était pas du genre à prendre d’importantes décisions sans l’avis de ses deux meilleures amies, à savoir Aretha et Lily. Même si elle avait eu peur de cet endroit, elle aurait réveillé Aretha pour l’avertir. C’était étrange. Lily, clouée au lit et Kate, disparue sans laisser la moindre trace.
La jeune fille fit le tour de l’auberge et aperçut l’homme à tout faire. Il était de dos et paraissait plus musclé et plus coloré que la veille.
— Excuse-moi, dit-elle. Je cherche Kate, le… il m’a dit qu’elle était partie mais Kate ne serait jamais partie seule…
— Je l’ai vu, répondit-il de dos. Elle est partie, à pieds, avec ses sacs. Elle est partie dans le brouillard naissant, de ce côté-ci.
Il désigna la droite. Ainsi, Kate aurait pris le chemin qui mène à Prudencia.
— Je vais essayer de la retrouver, répliqua Aretha. Elle n’a pas dû aller bien loin. Lily a…une sorte de fièvre. Prenez soin d’elle jusqu’à ce que je revienne, je ne serais pas longue.
— D’accord, dit-il toujours sans se retourner.
La jeune fille allait partir quand il lui vint une question.
— Hum, il n’y avait pas de pierre hier sur le puits. Pourquoi…
— C’est là qu’on jette nos ordures. Pour ne pas que les odeurs ne remontent. La pierre, c’est comme un couvercle.
— Ah oui, merci, dit-elle en paraissant bête.
Aretha retourna à la voiture et regarda vers l’auberge. Le vieil homme la scrutait depuis l’un des carreaux sale. Que pensait-il ? Lui avait-il dit la vérité ? Pourquoi lui aurait-il menti ? Aretha pensa qu’elle devenait parano, bien sûr, elle imaginait mal Kate s’en être allée de la sorte. Elle démarra la voiture et prit le chemin que lui avait indiqué le garçon.
Comme la veille, elle entra dans un brouillard qui semblait s’épaissir de kilomètres en kilomètres.  Peut-être y avait-il beaucoup de  lacs dans la région, ce qui expliquerait ce phénomène si étrange de condensation ? Elle regarda sa montre, vingt minutes, puis cinquante minutes qu’elle était partie, toujours aucune trace de Kate. Et d’ailleurs, Kate serait partie en emportant ses deux gros sacs lourds ? Non. Au lycée comme au collège, Kate évitait les gros sacs et les plateaux. Elle trouvait toujours le moyen de se les faire porter, il y avait toujours un garçon pour se plier à ses moindres caprices… Alors Kate ne pouvait pas être partie. Kate n’était surement pas partie.
— Mais où es-tu allée, bon sang ! cria Aretha.
Elle ralentit puis fini par couper le moteur. Le silence régnait. Le brouillard s’éclaircissait. Aretha descendit de voiture et fit quelques pas vers l’avant en se rendant compte que l’horizon était une vaste plaine bleue marine. Elle se croyait être en bord de mer mais au fur et à mesure que le temps s’écoulait, elle se rendit au fait, qu’elle était en présence de l’univers. Devant elle, là, à quelques dizaines de centimètres, la route de goudron prenait soudainement fin. Le monde s’arrêtait. Et le reste, c’était l’univers, le firmament. Un ciel étoilé sans astre. Le néant.
Aretha n’en croyait pas ses yeux. Elle se pinça mais elle savait qu’elle ne rêvait pas. Elle se mit à imaginer toutes sortes d’hypothèses. Si Kate était bien partie mais avait finalement rebroussé chemin pour prendre l’autre direction ? Si Kate était venue jusqu’ici et était tombée dans le néant ? Si…et si elle-même dormait toujours et que ça n’était qu’un cauchemar grotesque ? Peut-être n’était-elle-même pas partie de Laceelake…
La Terre était ronde. La Terre ne pouvait pas prendre fin si abruptement. Autrefois, les gens le pensaient mais la science avait prouvé le contraire.
Aretha remonta dans la voiture et fit demi-tour. Curieusement, elle mit seulement dix minutes pour retrouver l’auberge alors qui lui avait fallut environ une heure pour aller d’où elle revenait. Elle s’engagea sur la route qu’elle et ses amies avaient quitté la veille, rentra dans l’épais brouillard et roula, roula de nombreuses minutes avant de consulter sa montre.
— Non…
Le cadran indiquait dix-sept heures cinquante. C’était impossible ! Elle s’était levée vers onze heures par conséquent il aurait dû être plus au moins treize heures. Elle regarda l’heure qu’indiquait le tableau de bord de la voiture. Elle était en retard de cinq minutes mais cette fois ci elle indiquait quinze heures treize. Aretha poussa un cri de frustration et ralentit pour attraper dans la boite à gant, une petite console de jeux que son père lui avait offerte. Elle l’alluma et patienta, en tapotant le rebord de l’appareil. L’heure digitale s’afficha aussi différente que la montre et le tableau de bord. Aretha senti la crise de nerfs venir. Elle hurla pour chasser la tension et choisi de faire demi tour. Peu importe l’heure qu’il était, il fallait maintenant qu’elle revienne vers Lily. Si elle avait perdu Kate, elle ne pouvait se permettre d’abandonner Lily. Elle se sentait responsable de ses deux amies car elle était la plus âgée des trois. Et puis elle les adorait tellement. Elles s’étaient promis de veiller pour toujours les unes sur les autres.
Assurée qu’il n’y avait personne sur la route, car qui viendrait se paumer dans un endroit pareil, Aretha fit demi-tour et appuya sur l’accélérateur. L’heure sur le cadran du tableau de bord passait moins rapidement que celle sur sa montre qui elle, défilait. Peut-être des ondes électriques étaient à l’origine de tout cela ? Mais la jeune fille décida de ne plus penser à ce qui pourrait être la cause, l’origine de toutes ces bizarreries. Il fallait qu’elle retourne à l’auberge, qu’elle prenne soin de Lily.
Même si le temps n’avait plus de référence, il lui sembla avoir roulé plus longuement sans ne jamais sortir du brouillard, sans ne jamais revenir sur l’auberge. Rhéta ralentit et éclata en sanglots, toute la frustration et l’incompréhension qui la tenaient depuis son réveil explosèrent. Elle pleura longtemps et s’en voulait d’avoir fait demi-tour.
Puis elle dût se rendre à l’évidence qu’elle était perdue. Qu’elle ne sortirait peut-être jamais de ce fichu brouillard. Elle se rappelait que la veille au soir, le brouillard avait été si intense que le vieil homme leur avait déconseillées de partir. Peut-être la nuit était-elle tombée. Peut-être était-elle à l’auberge sans s’en rendre compte. Ou peut-être était-elle au bord du précipice ?
Elle coupa le moteur et mit en route les veilleuses. Il fallait qu’elle se repose, qu’elle réfléchisse à ce qu’elle devait faire et alors, quand elle aura mis ses idées au clair, elle saurait ce qui est bon à faire. Elle saurait et le ferait.
Elle bascula le siège en position allongé et ferma les yeux.

Ethan était auprès de Lily quand elle se réveilla. Sa fièvre s’était estompée et elle avait quitté le monde des vivants. Sa peau était glaciale, presque translucide, ses lèvres bleutées retrouveraient leur rose à la première gorgée de sang et ses yeux étaient magnifiques. Lily était la plus belle femme du monde aux regards d’Ethan. Il sut alors que c’était bien de l’amour qu’il éprouvait pour elle. De l’amour. Une attraction plus forte que n’importe quel charme. Il sut également que leur amour pourrait les délivrer du maléfice qui l’emprisonnait en ce lieu.
— Tu as tué Kate, dit-elle avec lucidité.
Ethan acquiesça en silence. Il n’était pas question de lui mentir. Pas à elle. Il n’avait pas pu dire à l’autre fille ce qui était advenu, il n’en avait pas eu le courage.
— Aretha s’est perdue dans le brouillard, ajouta-t-elle. J’ai tout entendu. Je n’étais pas là mais j’entendais tout.
Ethan lui expliqua calmement ce qui était arrivé quand elle s’était levée la nuit dernière.
Lily se mura dans un silence et des larmes noires roulèrent sur ses joues. Ethan sortit un mouchoir et voulu les lui sécher mais Lily esquiva son geste.
— Je ne te veux aucun mal, assura-t-il.
— Tu as tué Kate, répéta-t-elle, et tu as laissé Rhéta se perdre !
— Je n’ai pas pu faire autrement.
Lily se sentait tout autre mais une peine immense lui comprimait le cœur. Elle cacha son visage dans ses mains et pleura. Elle ne se déroba pas lorsque le vampire l’entoura de ses bras, elle sentait que malgré tout il ne lui voulait que du bien. Et ils demeurèrent ainsi tandis que le soleil traversait le ciel pour laisser sa place à la lune, encore et encore.
Lorsque Lily se calma enfin, elle sut que des jours s’étaient écoulés depuis le jour de sa nouvelle naissance. Une soif la tiraillait. Elle se dégagea des bras d’Ethan et lui dit :
— Je t’en voudrai toujours pour Kate. Pour cette soif que tu n’as pas pu réfréner cette nuit là. Mais…devrais-je également t’en vouloir de m’avoir donné une seconde vie ? Je ne sais pas ce que je dois penser. Rhéta me manque, j’aimerai la retrouver.
Le vampire esquissa un sourire. Puis il lui raconta ses origines. Sa mère était russe, son père était un voyageur. Il était né quelques centaines d’années auparavant mais on lui donnait facilement vingt et un ans. Il avait été à une fête d’étudiants et le lendemain, il s’était réveillé métamorphosé ; en ce qu’il serait dorénavant, une créature de la nuit et du sang, un enfant des ténèbres comme l’appelait le vieil homme, un vampire.
— J’ai erré pas mal de temps, cinquante-soixante ans…et j’ai entendu parler de Natland, la ville des sept sorcières. J’ai voulu les rejoindre mais je n’avais pas prévu de me faire piéger par le Maître des Illusions.
— Est-ce ce vieil homme sec qui tient l’auberge ?
— Lui-même. Il était à Natland et il a dû offenser des créatures qui s’y trouvaient. Ces dernières ont choisi de le punir en lui offrant une retraite paisible et éternelle en ces lieux. Tout ce brouillard, c’est à cause de lui. Son existence en est la cause. Tant que le Maître des Illusions vivra, qu’importe où il voudra aller, les chemins alentours ne le mèneront nulle part et nous avec. Je suis tombé dans le piège, tout comme toi.
— C’est la même chose pour Aretha ? S’il disparaît, l’enchantement sera rompu ?
— En théorie, oui. Mais j’ai déjà tenté de le tuer de toutes les manières que ce soit et…vois le résultat. Il semble vieux mais il a encore plusieurs milliers d’années devant lui.
Lily comprit qu’ils étaient piégés mais une chose lui importait plus que tout à ce moment là. Sa soif, qui grandissait, qui rendait sa gorge si sèche qu’elle semblait se craqueler de l’intérieur.
— Ethan ? J’ai soif.
Elle demanda de l’eau mais le vampire savait qu’elle n’avait pas soif d’eau. Du moins que l’eau ne viendrait pas à bout de cette soif. Il obtempéra quand même et lui tendit un verre d’eau. Elle but précipitamment et redemanda un autre verre et un autre verre mais la soif était toujours là.
— Je suis désolé de t’imposer ce calvaire, dit-il. Ce n’est pas d’eau dont tu as besoin…mais de sang. Et ici, il n’y en a pas.
— Alors… Je vais mourir de soif ? demanda-t-elle effrayée.
— Tu ne vas pas mourir, tu vas…
Elle se dessécherait car elle n’aurait pas la force suffisante pour résister à l’appel de la soif. Elle deviendrait comme un morceau de bois sec, qu’on pourrait facilement briser mais Ethan se promettrait de veiller à jamais sur elle.
— Il n’y a pas de sang ici. Il y a le mien mais, ta soif redoublerait… La seule solution serait de sortir de cet enfer.
Lily rejeta les couvertures, découvrant à quel point son corps s’était raidit.
— Tu as besoin de boire, expliqua Ethan. Quand tu auras bu, ton corps retrouvera sa souplesse.
Elle sourit et s’assit sur le lit avant de se lever. Elle avait quelques vertiges. Son regard se porta sur l’ensemble de la chambre, elle voyait trouble, les murs tremblaient comme si elle était sous l’emprise d’une drogue. Cependant, elle entendait tout avec une parfaite clarté sonore. Le vieil homme était en bas, dans la salle principale. Il était allé dehors et était revenu, il avait regagné sa place favorite, assis dans la pénombre, les pieds reposants sur un tabouret, la cigarette au bec.  
— Je reviens, dit-elle en avalant sa salive pour se préserver de sa soif.
Lily se sentait différente et savait qu’elle était passée dans un autre monde, un monde plus sombre, de ténèbres et de sang. Ses sens étaient aiguisés comme ceux d’un prédateur et elle savait un millier de choses qu’elle n’avait jamais apprises. Elle voyait des paysages jamais visités.
Elle sortit de la chambre, vêtue uniquement de sa robe de nuit et du cardigan d’Aretha. Aretha, pauvre Aretha, perdue dans le brouillard, perdue à jamais si elle ne l’en sortait pas. Kate était perdue, définitivement perdue, rien ne pourrait la faire revenir et elle-même était perdue car rien ne pourrait lui rendre sa vie, sa vraie vie. Mais Aretha pouvait encore être sauvée. Elle errait sur la route, Lily l’entendait de loin. Elle l’entendait rouler en pleurant de colère, de frustration et de panique. Quand elle avait faim, elle allait jusqu’au coffre pour en sortir des paquets de chips et de biscuits. Lily avait de la peine pour elle. Elle aurait aimé être avec elle et partager sa douleur.
La jeune vampire descendit les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée tandis qu’elle entendait le vieil homme se relever. Quand il la vit apparaître, son visage vieilli et sec s’illumina.
— Vous êtes ravissante, ma chère, dit-il.
Lily s’approcha. Elle comprit immédiatement qu’elle l’influençait, que ce qu’elle était devenue lui octroyait des pouvoirs physiques et charnels. Sa démarche était différente, sans s’en apercevoir, elle avait adopté un pas félin très sensuel et en un rien de temps, s’était retrouvée tout près du vieil homme.
C’était peut-être un démon, un maître des illusions, il ne restait pas moins un humain plein de vie et de sang. Ethan ne l’avait-il pas remarqué ? Derrière cette peau sèche et rugueuse cheminait un sang rouge vermeil. Inconsciemment elle tendit sa main et le vieil homme lui fit honneur en lui donnant un baise main.
— Vous êtes magnifique.
Et de deux ! Deux fois qu’il la complimentait. Lily se promit qu’elle prendrait le temps de se mirer dans un miroir pour voir à quel point elle était ravissante et magnifique. Soudain, elle redouta de ne jamais pouvoir se rendre compte de sa beauté. Ne disait-on pas que les vampires ne pouvaient se voir dans les miroirs ? Et que le soleil leur était mortel, comme l’ail, les croix, l’eau bénite, les églises et les pieux ?
Près de ce corps, la soif inextinguible, inapaisable se réveilla de plus bel. Elle se colla contre ce corps, passa ses bras autour du cou de l’homme qui se raidit à son contact.
— Vous auriez pu offrir à mon amie une tombe descente, déclara Lily. Plutôt que de l’avoir jetée dans ce triste endroit.
Le vieil homme ne dit rien.
Lily reposa son visage contre l’épaule. La soif la tourmentait. Elle s’imaginait boire des litres d’eau et elle sentait le sang derrière la peau, le sang qui l’appelait, qui lui intimait de mordre. Mordre… Mordre, planter ses crocs, boire, aspirer le sang, tout le sang, la seule boisson qui la satisferait. Tandis qu’elle y pensait, ses canines supérieures se changèrent en crocs saillants. 
— Je ne ferai pas ça si j’étais vous, dit l’homme en se libérant de son étreinte.
— Et pourquoi pas ? C’est à cause de vous si mes amies et moi nous sommes perdues dans ce brouillard, si Kate est morte et qu’Aretha s’est perdue, si j’ai perdu la vie. C’est à cause de vous que les routes ne mènent nulle part, qu’Ethan est piégé, que cette soif me tiraille.
— On ne vous a jamais appris, qu’il ne faut pas rentrer dans le brouillard sous peine de ne jamais en ressortir, de passer une porte parallèle, de se retrouver au bout du monde ? Quand à votre Kate et vous, c’est entièrement la faute du vampire, je ne lui ai pas ordonné de vous consommer !
Lily savait qu’il disait vrai, du moins pour Kate et elle-même. Elle recula et s’écroula sur une vieille chaise qui céda. Elle était en colère et en même temps, lésée. Son corps devenait plus blanc et plus clair, ses muscles se raidissaient comme si elle était en phase de devenir un bloc de pierre. Un malaise la prit et lui donna le vertige, elle se mit à angoisser et pensa que c’était la fin. Sa fin. Elle avait entendu les pensées d’Ethan, elle en était capable de temps à autre, mais elle ne captait rien du vieil homme. Et Ethan avait pensé qu’elle finirait par se dessécher, comme un triste morceau de bois…
Ethan s’impatientait en haut, elle l’entendait marcher, aller d’un côté puis revenir de l’autre. Parfois, elle discernait sa pensée, il se demandait ce qu’elle était en train de faire, il voulait la rejoindre…
Le vieil homme lui demeurait impassible.
— Le vampire a essayé de me tuer, finit-il par avouer. En buvant mon sang, il s’est lui-même intoxiqué. Mon sang est un poison pour les vampires. Une défense que la nature m’a donnée contre vous autres.
— C’est vrai ce qu’il dit, déclara Ethan au bas des escaliers.
Lily ne l’avait pas entendu arriver, trop concentrée sur la soif brûlante du sang.
— Ça a failli me tuer, j’ai mit des mois à m’en remettre.
La jeune vampire se releva et s’approcha du vieil homme, craintive.
— Excusez-moi d’avoir eu cette pensée, dit-elle au bord des larmes.
— Ce n’est rien, fille des ténèbres.
Ethan lui faisait signe de la suivre dans les escaliers, mais Lily perdit son assurance et laissa la soif la dominer. Cette sensation devenue brûlure la conduisit sur le cou du vieil homme car c’était ici que le sang affluait le plus rapidement. Elle planta ses crocs et aspira. Le sang était très épais comme une confiture, une gelée, un sang de milliers d’années contenant un milliard d’informations. Le sang portait aussi en lui un grand savoir.
Le Maître des Illusions étaient un démon perfide mais il avait visité des centaines de mondes différents et des époques, le passé, le présent et le futur n’avaient aucun secret pour lui. Lily vit le passé et le futur, elle sut comment finirait la civilisation des hommes et ce qui la remplacerait. Elle s’en amusa et continua à boire. Un moment, elle se vit. Sa métamorphose en vampire avait donné à sa beauté une froideur délicate, charmante, énigmatique, merveilleuse. Ses cheveux étaient plus longs et bruns brillants et ses yeux étaient deux prunelles aux iris changeantes. Tantôt or, tantôt noisette, tantôt vermeil…
Enfin, sa soif s’étanchait.
Quelqu’un la tenait par les côtés et tentait de l’arracher au sang. C’était Ethan.
— Je t’en prie, tu vas te tuer !
Mais alors qu’il disait cela, les murs de l’auberge commencèrent à s’effacer. Le jour entra, lumineux. Lily s’arrêta de boire, la bouche souillée et regarda autour d’elle.
Le vieil homme se tenait le cou.
— Mais comment ? demanda Ethan pendant que l’auberge disparaissait et que le brouillard s’évanouissait.  
— On m’avait dit, il y a longtemps, de me méfier des créatures féminines aux dents longues. J’avais oublié, murmura le Maître des Illusions. Elles sont un poison pour mon âme…
Il perdit connaissance et les illusions qui entouraient les deux vampires se dissipèrent. L’auberge s’envola et ils se retrouvèrent dans un champ. C’était la tombée de la nuit. A la place de la pompe à essence, il y avait un pommier. Le puits demeurait toujours et non loin, la route était sans aucune nappe de brouillard, sans aucun maléfice pour perdre ses voyageurs.
Ethan prit la main de Lily et lui sourit. Ils étaient libres à présent, libres d’aller où leurs pas les mèneraient.
— J’aurai voulu offrir à Kate une sépulture digne, dit-elle, mais…
Ils étaient tous deux incapables de s’approcher du puits. Il empestait la Mort. Il empestait la condition humaine ; le souvenir de leur ancienne vie mortelle.
— Aretha est sur le chemin de Prudencia, ajouta Ethan.
— Des dizaines de kilomètres nous séparent d’elle maintenant, ainsi qu’un autre destin, répliqua Lily en regardant le vampire dans les yeux. Je suis un vampire maintenant et…il faut que j’oublie la vie que j’avais rêvé de vivre. Aretha la vivra pour moi !
— Un jour, nous pourrions lui rendre visite !
— Peut-être.
Lily regarda autour d’elle et ramassa les vêtements de Kate. Elles avaient à peu près la même taille. Elle les enfila et rejoignit Ethan au bord de la route. Lors de la fête de fin d’année à Laceelake, elle n’aurait jamais pu imaginer que son existence puisse prendre une telle tournure. Mais elle n’avait pas peur. Elle avait confiance en l’être qui lui avait offert une seconde chance de vivre une tout autre vie.
— Allons-nous dans la ville des sept sorcières à pied ? interrogea-t-elle.
— Je ne voudrais pas faire mon entrée à Natland en marchant ! Il faut nous faire honneur tout de même ! Nous irons à la prochaine ville nous dégoter une auto de rêve et ensuite, nous ferons une entrée endiablée.
Ils se donnèrent la main et quittèrent à jamais le domaine du Maître des Illusions.








nouvelle n°10
Long Sommeil
de


La conscience revint avec une réticence manifeste. En aucune façon à la manière d’un dormeur s’éveillant et disposant, peu ou prou, de la plus grande partie de ses facultés dès ses yeux entrouverts. Non, plutôt par paliers, comme ceux accomplis par un plongeur en eaux profondes revenant à la surface par étapes successives afin d’éviter l’embolie. La première sensation ressentie fut un froid intense. En effet, le dormeur ne sentait plus ses membres. Ces derniers semblaient être taillés dans du marbre glacé. Ensuite vint l’impression d’être aveugle ou, du moins, de se trouver plongé dans des ténèbres insondables. L’étouffement vint en dernier, accompagné par une peur panique de mourir. L’homme se débattit un long moment tout en luttant pour recouvrer rapidement l’usage de ses membres engourdis. Il éprouva des difficultés à ramener ses mains vers son visage tant l’exigüité des lieux l’enserrait de toutes parts. Un temps incroyablement long plus tard, des doigts tremblant se refermèrent sur du tissu qu’ils arrachèrent aussi vite que possible. Désormais libre d’entrave, la bouche s’ouvrit toute grande tandis que les poumons se gonflaient de nouveau d’air vital. Un horrible remugle de décomposition afflua dans la gorge masculine, emplissant ses narines et occultant totalement les autres sens. Une nausée acide balaya cette sensation pour la remplacer par une autre, à peine moins désagréable. Une nouvelle fois, le dormeur se débattit pour parvenir à se retourner sur le ventre. Son estomac se rebella et n’expulsa qu’un peu de bile. Difficile de vomir lorsque l’on a plus mangé depuis des jours, sinon plus. L’homme s’ébroua puis essaya de se redresser sur les coudes. Son dos heurta un objet solide. Le cœur étreint par une sombre angoisse, le dormeur pivota derechef sur le dos. Ses mains s’élevèrent vers le haut, s’appliquant sur une courte voute surplombant le corps allongé. Son sens du toucher s’avéra perturbé par la présence de tissu sur les doigts, peut-être des gants. Dans l’obscurité sans faille régnant sur les lieux, l’homme eut fort à faire pour parvenir à libérer sa peau. Ceci accompli, il tendit de nouveau ses doigts devant lui. Un objet de bois le dominait, pire encore, il l’englobait entièrement. Un frisson glacé glissa le long de la colonne vertébrale du dormeur. Il se trouvait enfermé dans ce qui ressemblait beaucoup à un sarcophage. Ce qui expliquait enfin ses difficultés à se mouvoir ainsi que l’absence de lumière. Ne pas céder à la panique semblait être la seule arme utilisable. Se concentrant au mieux pour réguler sa respiration, il posa ses paumes à même le couvercle qui le surplombait puis il poussa. Certes, rien ne bougea en apparence, pourtant, un infime courant d’air circula un bref instant dans le cercueil. Rassemblant ses forces, le dormeur réitéra son geste, joignant ses genoux dans la lutte contre le poids du couvercle. Un craquement retentit soudain à la manière d’une porte brisée par la force d’un bélier manié par une armée en colère. Si les ténèbres demeurèrent inviolées, de l’air baigna l’homme. À son grand désarroi, l’horrible odeur de charogne fut remplacée par celle d’une poussière séculaire. Une bien maigre avancée. Les doigts de l’homme tâtonnèrent jusqu’à trouver la brèche qui venait de se créer dans le couvercle de bois. Une pression supplémentaire et l’ouverture s’agrandit encore en devenant suffisante pour le passage d’un être humain. Ce dernier put enfin s’asseoir sur son séant et parcourir des yeux son environnement. En pure perte, hélas, puisqu’une nuit sans faille perdurait sur les lieux. Toujours luttant contre la panique qui se tenait à l’affût derrière son être conscient, l’homme laissa courir ses doigts sur le sarcophage où il se trouvait. Ses sens ne l’avaient pas trompé, il s’était éveillé dans un cercueil de bois sans doute déposé dans une tombe fermée. Une situation plutôt déplaisante. Pourtant, le fait même d’être en vie renforçait l’espoir d’en sortir. À l’aide de son seul sens du toucher, l’homme prit un temps indéterminé, mais interminable pour son esprit, avant de parvenir à se laisser glisser au sol. Chancelant un instant sur ses jambes sans force, il dut prendre appui sur le sarcophage pour ne pas tomber. Après de longues minutes de préparations tant mentales que physiques, il osa mettre un pied devant l’autre. Son premier pas fut un désastre ! Heurtant sans ménagement un obstacle métallique, il perdit l’équilibre et bascula en avant. En essayant de se rattraper, il emporta avec lui d’autres objets qui tintèrent en heurtant le sol en même temps que lui. Groggy, l’homme fut pris d’une toux causée par la poussière et qui le laissa pantelant. Désormais allongé au milieu de nombreux objets indéterminés, il dut se contraindre à attendre que sa respiration reprenne un rythme correct avant de se redresser. Ses bras tendus devant lui frôlèrent bientôt une paroi. Un mur de pierre froide qui semblait creusé par de fines rayures ; peut-être des dessins taillés à même la roche. Suivant cette bordure solide, l’homme avança lentement. Avec d’infinies précautions, il progressait en poussant du pied tous les obstacles rencontrés sur sa route. Ce mouvement parut durer une éternité. Hélas ! sans apporter de réponse aux multiples questions de l’unique occupant des lieux. Il devenait évident qu’il se trouvait dans un tombeau fermé de toutes parts par des murs de pierre. Aucune sortie ne semblait exister. Constatation qui ébranla l’âme du prisonnier. S’était-il donc éveillé seulement pour mourir de faim et de soif dans les ténèbres d’une tombe ? Tout bien réfléchi, il ne se souvenait même plus de son nom ni du pourquoi de sa présence en ce lieu déserté. Avait-il été malade ou blessé dans une quelconque guerre ? Avait-il été considéré comme décédé et enterré dans les honneurs dus à son rang ? Oui, il jouissait d’une certaine prestance avant son long sommeil. Un fait évident ! Il se trouvait au-dessus des autres, plus haut que le peuple, plus respecté que les prêtres, presque l’égal d’un dieu ! Mais, en ce cas, pourquoi son réveil en ces lieux sordides respirant la mort ? Tandis que ses idées confuses s’entremêlaient dans son esprit enfiévré, il crut entendre un bruit proche. Tendant l’oreille, il se concentra sur le son pour mieux en déchiffrer la provenance. Oui, cela n’était pas le fruit de son imagination, quelqu’un utilisait un marteau. Le bruit caractéristique de moellons chutant au sol renforçait son hypothèse : un mur de pierre était brisé par la force. On venait donc le libérer ! Finalement, il s’était inquiété pour rien. Ses fidèles ne l’avaient pas oublié. Dès son éveil, ils s’étaient élancés pour l’aider. Soudain, la mémoire lui revint en bloc, telle une onde déferlante échappée d’un barrage brisé. Oui, en son temps, il avait bien été divinisé. Et pour cause : il était pharaon. Se redressant tandis que ses muscles se durcissaient sous une brusque poussée d’adrénaline, il bomba le torse en se tournant vers la paroi. Derrière, il entendait toujours le bruit des outils qui allaient le libérer. En pensées, il imaginait déjà l’accueil triomphal de ses ouailles. Les prêtres seraient félicités pour leurs dons divinatoires car ils avaient cru au retour d’entre les morts de leur souverain. Les préposés à l’embaumement ne seraient pas oubliés puisque leur dextérité et leurs connaissances avaient rendus possible le réveil de leur maître. Quant aux autres, les membres du bas peuple, ils seraient transcendés de joie en recouvrant leur dieu. Peut-être ce dernier les remercierait-il en leur ordonnant de construire une nouvelle pyramide. Plus grande que la présente, plus grandiose, plus décorée…
Dans un craquement digne de l’explosion d’un volcan, un pan entier du mur bascula en avant. Perdu dans ses rêves, l’ancien pharaon se retrouva pris sous le bloc rocheux qui l’écrasa à la manière d’un vulgaire insecte sous le pied d’un promeneur insouciant.
Inconscient de leur acte irréfléchi qui venait de coûter la vie au récent ressuscité, les pilleurs de tombes pénétrèrent dans le saint des saints avec la convoitise dans le regard en découvrant un amoncellement d’objets où l’or dominait. Ils foulèrent aux pieds les débris du mur qu’ils venaient de détruire et sous lesquels s’agrandissait une flaque de sang frais. Ultime vestige d’un pharaon revenu de l’au-delà…









11 commentaires:

  1. Note: je tiens à signaler que ce qui suit n'est que mon avis de lecteur, et n'engage donc que moi et n'implique rien d'autre qu'un simple avis de lecteur et... Bon, bref, vous m'avez compris. :D

    J'ai lu "long sommeil" et n'ait pas accroché pour les raisons suivantes:

    Difficile de s'identifier à un inconnu total qui n'est pas nommé (sauf à la fin), dans un environnement inconnu à ce point.

    Je vois aussi un problème dans la notion de temps. Il est vrai que dans le noir, on perd vite toute notion du temps.
    Mais justement, je crois que dans ce genre de situation (non, c'est vrai que je n'ai jamais vécu ça), je doute qu'on "ait le temps" de se poser des questions sur le temps qui passe.
    Je pense qu'on doit avoir autre chose en tête, en fait, et du coup il me semble que le texte s'appesantit un peu trop sur cette notion.

    Enfin, impossible même à l'issu du texte de savoir si réellement le pharaon est mort ou vivant.
    La logique voudrait qu'il soit mort, vu la technique d’embaumement qui impose d'extraire les organes internes et le cerveau de l'embaumé.

    De même, il est signalé que ça fait plusieurs jours qu'il n'a pas mangé, et on peut supposer que cela fait autant qu'il n'a pas bu: sans boire, on meurt très vite.

    Pourtant, le sang (frais qui plus est) qui s’étend sous son cadavre à la fin semble indiquer le contraire.
    => Je m'attendais plutôt à voir le pharaon dévorer le coeur des intrus, en fait... ^^

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    1. Je suis navré que votre lecture de mon texte vous ait laissé une telle impression.
      Concernant le noir et le temps, ma foi, tout le texte repose sur la désorientation du narrateur. Ce dernier ne pouvait être nommé trop tôt pour ne pas briser dans l'oeuf la chute.
      Je connais la technique d'embaumement, mais, l'idée du texte est que le personnage ressuscite en chair et en os (et non pas sous la forme d'un mort-vivant comme dans un film bien connu), ce qui explique le sang. Quand à la nourriture et l'eau, il ressuscite à peine, il n'a donc pas mangé depuis longtemps. Cependant, il ne vit pas assez longtemps pour mourir de faim ou de soif.
      En espérant que l'autre texte vous ait apporté plus de sensations positives.
      Merci de votre lecture et de votre critique.
      Cordialement,
      Christian Perrot

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  2. j'ai aimé les deux textes, même si je ne porte pas trop les histoires de vampires dans le cœur (on nous les fait "manger" à toutes les sauces, surtout depuis quelques années) mais celle-ci était très sympa et un peu atypique. Cependant, j'ai préféré le long sommeil, en raison de cette progression dans le noir complet, où l'on devine les choses plus qu'on les voit (normal, dirai-je ^^) mais c'est surtout cette mort "con" pour un ressuscité récent qui m'a arraché un fou rire (était-ce voulu ? je l'ignore, mais c'est ma première réaction en imaginant la "chute" de l'histoire ^^) Pauvre gars, il échappe aux griffes de la mort pour se faire écraser comme une crêpe par la faute de l'avidité des hommes, quelle déveine ;-) J'ai donc choisi cette histoire qui était en ballotage avec sa rivale, pour ce final tragi-comique (à mes yeux ^^)

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    1. Heureux de voir que votre lecture ait été agréable.
      En effet, la chute est justement cette mort "stupide" (tragi-comique assumée) alors que le pauvre homme revient à peine d'entre les morts par la magie de la pyramide dans laquelle il se trouve. La dure réalité !
      Merci de votre lecture et de votre avis.
      Cordialement,
      Christian Perrot

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  3. J'ai lu les deux textes. Ils sont tous les deux bons chacun à leur manière. Ceci dit j'ai une petite préférence concernant le texte de Christian Perrot. Il se dégage de ce texte un doute qui plane tout au long de l'histoire. Bien sûr, elle est beaucoup plus courte que celle de Caliope et c'est justement en cela qu'elle supplante la première histoire. Même si l'histoire sur le sommeil est plus courte on entre plus facilement dans l'histoire. En tout cas pour moi. Et ce n'est qu'un simple avis pas une critique détaillée. Et puis des histoires de vampires, on en lit un peu trop en ce moment. Il n'y a même que ça partout ; même à la télé. Pour qu'une histoire fonctionne, il faut qu'elle prenne au dépourvu et qu'elle s'attaque à un thème délaissé ou qui n'est pas si souvent traité. Enfin d'après moi.

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  4. Merci de votre lecture et de votre avis sur mon texte.
    Je suis un peu comme vous, je crois que la mode des vampires commence à s'essouffler un peu par la faute des médias qui les ont trop mis en avant.
    La fin d'année sera Fantasy avec la préquelle du SdA. Et après ? Mystère...
    Bref, les modes changent mais les écrits restent.
    Cordialement,
    Christian Perrot

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  5. Malheureusement, je trouve les deux textes fort moyens. Le style est vraiment amateur, les phrases sont lourdes (Christian Perrot) ( "Non, plutôt PAR paliers, comme ceux accomplis PAR un plongeur en eaux profondes revenant à la surface PAR étapes successives afin d’éviter l’embolie")(aïe, les structures de phrases sont diaboliques en plus), imprégnées de naïveté (Caliope). Qui plus est, les histoires sont plutôt convenues au final.
    Je vote néanmoins pour Caliope, qui a un style plus maîtrisé.

    bonne chance aux candidats
    Inès

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    1. Je n'ai pas la prétention d'être un écrivain parfait (personne ne l'est). C'est justement grâce à ce genre de tournoi qu'il est possible de recueillir des avis et de critiques de lecteurs. Je prends bonne note des vôtres et essayerai de m'améliorer à l'avenir. Dans l'attente de lire de nouveau vos critiques de mes textes, je vous remercie de votre franchise.
      Cordialement,
      Christian Perrot

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  6. Je ne suis pas du même avis qu'Inès. Le texte de Christian Perrot est original et, surtout, la chute en est vraiment une, dans tous les sens du terme. On ne l'attend pas. J'ai apprécié cette nouvelle qui m'a diverti, ce qui, à mon sens, constitue une victoire pour l'auteur. Car, en fait, que demande-t-on à une nouvelle, en dehors de nous faire passer un bon moment ?

    Concernant le texte de Caliope, voici ce que je peux en dire : il n'est pas mauvais, loin de là, mais, comme cela fut dit dans d'autres commentaires, on parle trop de vampires en ce moment et je commence à faire une indigestion. ^^ Voilà aussi pourquoi le texte de Christian m'a plus attiré, le thème est moins abordé, plus original.

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    1. En effet, le seul but de mes textes (en général) est de faire passer un bon moment au lecteur. Je n'ai pas d'autre prétention narcissique.
      En ce qui concerne ce texte en particulier, c'est surtout l'idée de sa chute qui m'a incité à l'écrire.
      Merci encore à toutes celles et à tous ceux qui ont lu ces deux textes. Et un grand merci aux lecteurs qui ont voté pour le mien !
      A bientôt dans ce tournoi.
      Cordialement,
      Christian Perrot

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  7. Merci tout de même à tous ceux qui ont pris le temps de me lire ; même si mon texte inclut deux vampires, j'aurai essayé de vous divertir.

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