"Si l'art n'a pas de patrie, les artistes en ont une." Camille Saint-Saëns

"Un seul rêve est plus puissant qu'un millier de réalités." J.R.R. Tolkien

samedi 2 février 2013

Tournoi des Nouvellistes - Demi-finale n°2 : Scalp / Alizée Villemin



Vous trouverez ci-dessous le planning du tournoi actualisé. Cliquez sur l'icône pdf pour le visualiser.



Pour en savoir plus sur les auteurs, rien de mieux que de se rendre sur leur site / blog / page facebook. 
Pour connaître les adresses, 
rendez-vous à cet endroit.



Record battu... à nouveau ! 129 votes ! Merci mille fois, chers lecteurs !

Nous connaissons à présent le nom du premier finaliste : Jérémy Semet, l'auteur d'Ô Sombre Héraut. Il a battu, lors de la 1ère demi-finale, Solenne Pourbaix [79 votes (61,24 %) contre 50 votes (38,76 %)]. Félicitations à Jérémy, le voici en finale ! Bravo à Solenne également pour ce très beau parcours qui lui aura montré une nouvelle fois que nombreux sont ceux qui croient en elle et apprécient ses textes. Au plaisir de la lire à nouveau !


Passons à la seconde demi-finale du Tournoi des Nouvellistes qui oppose à partir d'aujourd'hui Destination incorrecte de Scalp à Dragon Ronchon d'Alizée Villemin. Lisez ou relisez les deux nouvelles et votez ensuite, grâce au module situé tout en bas de cet article, pour votre texte préféré. Vous avez une semaine, jusqu'au vendredi 08 février 2013, 23h59, pour voter. Celui qui aura obtenu le plus grand nombre de votes l'emportera et sera qualifié pour le tour suivant tandis que son concurrent sera éliminé.

N'hésitez pas à donner votre avis sur ces nouvelles dans un commentaire, en fin d'article. Les auteurs attendent avec impatience vos retours sur leurs textes, c'est important et constructif pour eux. Pour cela, cliquez sur le titre de l'article pour voir ce dernier en entier et descendez jusqu'en bas. Un espace réservé aux commentaires s'y trouve.

Bonne lecture et bon tournoi à tous !  


Demi-finale
n°2



 
Destination incorrecte
de
« Numéro 8465 » déclame une voix métallique sortie de nulle part.
Personne ne bouge dans la vaste salle d’attente au sol recouvert d’une lourde moquette rouge. Assis sur de larges banquettes au confort spartiate, les clients patientent après avoir pris leur ticket à l’entrée, à la borne automatique.
La préposée à l’accueil, un bonnet E au décolleté plongeant surmonté d’un sourire éclatant de fraîcheur, soupire et appuie à nouveau sur le bouton d’appel.
« Numéro 8465 » répète la voix enregistrée.
Au cinquième rang sur la gauche, un homme vêtu d’un par-dessus gris relève brusquement la tête et ferme son livre, qu’il se cale sous le bras. Il empoigne nerveusement un porte-document en cuir de Lashk et se précipite vers l’hôtesse. Il affiche une mine contrite et balbutie des excuses que son interlocutrice ignore superbement.
          Numéro 8465 ? se contente-t-elle de demander d’un air absent.
          Oui, c’est bien moi, tenez, répond-il en tendant son ticket. Je suis Herbert Léonard.
          Porte de droite derrière moi, continue Miss bonnet E en lui remettant un galet guideur ovale et orné d’un petit bouton blanc, sur lequel est inscrit « bureau X_534-eB ».
          Euh… Merci, dit Herbert en décrochant les yeux du décolleté de la jeune femme.
J’aurais dû emporter mon bracelet caméra, se morigène-t-il en se laissant guider par le galet que vient de lui donner l’hôtesse d’accueil. Ou plutôt non, j’ai bien fait. Cela aurait été une perte de temps. Herbert, n’oublie pas pourquoi tu es là !
Il franchit alors une porte aux battants faits de cuivre brut et cesse aussitôt de penser à la poitrine généreuse dont il ne prendra jamais la moindre photographie en gros plan. Le gigantesque hall dans lequel il vient de pénétrer a beau être réputé dans toutes les Galaxies, il ne s’attendait pas à une telle splendeur: le plafond atteint une hauteur vertigineuse. D'ailleurs, des nuages égarés tutoient la fresque peinte à la main sur la voute centrale par le célèbre artiste Vénusien Lar’Ianus. Les semelles en cuir de ses chaussures montantes – à la mode du siècle précédent – claquent sur la titanesque dalle de marbre blanc importé de Karrar, petite planète minière de la périphérie. Des statues dorées à l'or fin et encadrées d’imposantes colonnades ponctuent à intervalles réguliers les murs de la salle. Herbert sort le guide touristique de la région, qui consacre tout un chapitre au siège social de la société des Déménageurs de l’Extrême. À lire en page trois : « La salle cuivre, ainsi nommée d’après la porte qui y donne accès, ne manque pas d’attraits bien au contraire. Notamment, vous ne pourrez manquer d’être ébloui par le sol fait d’un unique bloc de marbre de Karrar, dont le poids est estimé à près de trois mille tonnes. Les frais de transport à eux seuls auraient forcé une partie des planètes membres de la Confédération Stellaire à se déclarer aussitôt en faillite. Les très nombreux espaces clients qui parsèment les dix hectares de la salle cuivre, quant à eux, vous accueilleront sur des fauteuils particulièrement confortables, en bois véritable de Pnamur, essence rare et recherchée. Enfin, chacun des bureaux individuels est englobé dans un champ de dispersion de Hulln, qui vous dissimulera aux yeux et aux oreilles des indiscrets. »
Herbert referme le guide et lève la tête vers le plafond au moment où un chiroptère le survole. Ces petits trains volants permettent aux employés d’atteindre leur poste de travail, et aux clients de se rendre au bureau qui leur a été assigné. Herbert enfonce finalement le bouton central de son galet guideur et un plan en trois dimensions se matérialise sous ses yeux. « Le bureau X_534-eB se trouve à cinq cents mètres de vous. Veuillez suivre la flèche ». Une ligne jaune terminée par une pointe en forme de V apparaît devant Herbert et lui indique la direction à suivre. Zut, je ne vais pas avoir besoin de prendre le chiroptère, se dit-il, dépité. Il fait d'ailleurs bientôt face à un dôme argenté, englobé par une membrane irisée sous l’action du champ de Hulln. La porte s’ouvre avec un chuintement et Herbert pénètre dans la pièce. Une jeune femme l'observe, un léger sourire placardé sur son visage aux traits fins. La robe blanche encadrée d’un liseré doré dont elle est revêtue ne semble pas faite pour dissimuler ses atouts généreux. Bonnet C, mais vraiment très joli, songe Herbert tandis qu’elle se lève pour lui désigner d’un geste ample un fauteuil bas, aux larges accoudoirs. Je me demande comment ils habillent leurs employés masculins. Herbert, espèce de voyeur ! lui souffle soudain une petite voix dans sa tête. Tu te trouves ici pour une raison importante, pas pour le plaisir des yeux !
          La Compagnie des Déménageurs de l’Extrême et moi-même sommes heureuses de vous accueillir, Monsieur Léonard. Je m'appelle Miss Missmetti et je serai votre conseillère attitrée tout au long de votre aventure à nos côtés. Je suppose que vous connaissez notre activité, sinon vous ne seriez pas devant moi, dit-elle en lui tendant plusieurs plaquettes et prospectus sur papier glacé.
          Oui, je connais tout ça, marmonne Herbert.
          Vous savez donc que nous ne nous occupons pas du simple transfert de vos meubles et objets personnels d’une planète à la suivante, fut-ce d’un bout à l’autre de la Confédération. Le plus souvent, nous prenons en charge le déplacement de villes entières. Mais nous ne nous limitons pas à ce type de défis logistiques. À ce titre, notre slogan parle de lui-même « Votre imagination est notre seule limite ».
          Oui, j’entends bien, Miss… Euh…
          Miss Missmetti. Avez-vous consulté nos tarifs, Monsieur Léonard ? Ils figurent parmi les plus bas du marché, car nous avons totalement automatisé nos process. Nous faisons appel aux modèles robotisés créés par notre filiale spécialisée Rob-Life. C’est une garantie de qualité et de fiabilité. Nous excluons ainsi les erreurs et les défaillances d’origine humaine. Cela nous permet d’afficher une satisfaction client proche de 100% sur la moyenne des deux cent cinquante dernières années. Nous sommes la société de service préférée, toutes planètes confédérées confondues.
          Je connais vos prix, tout à fait, et je dois dire que… commence Herbert d’une voix faible.
          De plus, l’interrompt la jeune femme, vous pouvez également bénéficier d’un échelonnement de vos paiements sur dix ans grâce à notre partenariat avec les établissements de crédit Banka-Sparta. Et selon la portée de votre projet, nous pouvons vous proposer des remises importantes ! Dites-moi tout, Monsieur Léonard. De quelle façon les Déménageurs de l’Extrême peuvent-ils vous aider à concrétiser votre rêve ?
          C'est-à-dire que… Il s’agit du… Du déplacement d’une planète.
          Mais bien sûr ! s’exclame Miss Missmetti. Votre projet est grandiose, monsieur Léonard. Laissez-moi vous dire que vous avez frappé à la bonne porte ! Nous disposons précisément de plusieurs équipes spécialisées dans ce type d’évènement. Ce qui pourrait paraître hors du commun pour la concurrence fait désormais partie de notre travail quotidien !
          Non, vous ne comprenez pas. Le déplacement a eu lieu, mais un incident est survenu.
          Vous voulez dire que vous avez déjà un dossier ouvert ici ? Ou alors que vous avez signé un contrat chez l'un de nos concurrents ? s’étonne la jeune femme en pianotant avec empressement sur son clavier. Je suis désolée, je ne vous trouve pas. Vous vous appelez Herbert Léonard, résident de la planète Makin-3, du secteur de Gilgash, c’est bien cela ?
          Mais le dossier a été enregistré au nom de notre Présidente, Madame Mélina Hugnova. Il s’agit de mon épouse, voyez-vous. Nous nous sommes mariés l’an dernier.
          Toutes mes félicitations, monsieur Léonard ! s’extasie Miss Missmetti en battant des mains. C’est tellement formidable, le mariage ! Je suis encore célibataire, mais comme je vous envie ! Donc, votre projet est enregistré sous le nom de Madame Hugnova. Oui, je l’ai trouvé ! Planète Démandre, secteur Gilgash également. Ah… Je vois, dit-elle avec un air sombre. Démandre, bien sûr.
          Oui. Comment expliquez-vous ce qui s’est produit ? Je croyais que vous étiez d’une fiabilité hors de pair ? s'exclame Herbert en se penchant en avant.
          Voyons monsieur Léonard. Vous savez aussi bien que moi que personne n’est capable de détecter à l’avance la formation d’un trou noir. Comment pouvez-vous nous le reprocher ?
          Ce trou noir existait déjà quand je n’étais qu’un enfant ! Vous vous êtes trompés de direction, le voilà le problème ! Vous deviez déposer la planète de l’autre côté de la galaxie ! À l’opposé, donc ! Ne vous moquez pas de moi !
          Allons, calmez-vous monsieur Léonard, et rassurez-vous. Notre S.A.V. réalise des merveilles, ils auront forcément une solution à vous proposer, ne croyez-vous pas ? Attendez, je vais vous donner un nouveau galet guideur. Ils ne sont pas loin.
          Ah, parce que vous avez un service médical qui se charge des résurrections ? La planète a été engloutie, dévorée, annihilée par ce cadavre de supernova ! Et tous ses habitants avec elle !
          Oui, vous faites partie des derniers survivants, c’est embêtant. Je me souviens, à présent : vous rentriez de vacances sur une frégate stellaire de classe Navigon lorsque le déménagement a eu lieu, c’est bien cela ? C’est écrit dans le rapport sur l’incident, là.
          Je n’étais pas en congés, non. Nous préparions l’arrivée de la planète dans son nouveau secteur. C’était une mission diplomatique.
          Que sont donc devenus les autres survivants ? Ceux qui vous accompagnaient, je veux dire.
          Certains sont morts dans des accidents. D’autres sont devenus fous. Je suis le dernier à avoir gardé les pieds sur terre. Enfin, je crois. Si j’étais paranoïaque, je me demanderais d’ailleurs jusqu’à quel point votre société n’est pas impliquée dans ces décès…
          Oui, bien sûr, je comprends. Pour en revenir à votre idée, la résurrection ce n’est pas pour tout de suite. Nous pouvons certainement faire quelque chose pour vous. Demi-tarif sur votre prochain projet, peut-être ?
Herbert regarde la jeune femme avec de grands yeux. Mais elle se fiche de moi, ou quoi ? songe-t-il, atterré.
          J’y pense ! s’exclame Miss Missmetti. Vous devez être en recherche d'un nouveau logement, puisque Démandre n’existe plus. À moins que vous ne comptiez ré-emménager sur votre planète natale, l’une de nos filiales possède un catalogue très fourni de logements, et ce dans toutes sortes de secteurs parmi les plus en vue.
Miss Missmetti se lève et contourne le bureau pour se rapprocher d’Herbert. Elle tient un tube métallique dans la main. Un émetteur vidéo. Que veut-elle me montrer, cette idiote ?
          En guise de dédommagement, nous vous proposons de choisir votre nouveau cadre de vie. Gratuitement ! Dans la limite d’un budget maximum raisonnable pour une personne seule, bien sûr. Regardez donc par vous-même, dit-elle en activant l’émetteur devant les yeux d’Herbert.
Tout d’abord, il ne se passe pas grand-chose. Une image floue, brouillée, un flash lumineux suivi d’un bourdonnement diffus qui emplit progressivement les oreilles d’Herbert. Puis, plus rien. Il ne sent pas son corps basculer du fauteuil sur le côté et s’écraser au sol avec un son mat. Il ne voit pas Miss Missmetti se pencher vers lui avec un étrange sourire amer et lui enfoncer une seringue dans le bras.

*

          Pauvre bougre, dit l’infirmier en regardant l’homme recroquevillé sur son lit. Je ne sais pas comment je me sentirais, si j’étais le dernier survivant d’une planète entière. Tu imagines, Mac ? demande-t-il à son collègue, qui s’apprête à nettoyer le corps tremblant d’Herbert Léonard. Dix milliards de morts, et toi tu es là comme un imbécile, debout et bien vivant au milieu d'un vaste cimetière. C’est un coup à regretter de ne pas avoir fait partie de la liste des victimes… Il y a de quoi devenir fou.
          Ce n’est pas le seul habitant de Démandre à être encore en vie, Théo. J’ai une amie qui travaille à la clinique psy du Gueffroy, sur la planète Elisandre du secteur d’à côté. Ils en ont quatre dans leur service de soin aux personnes mentalement attardées. Un dernier est hospitalisé ici même, au quatrième étage.
          Les catatoniques ? Tu m’as l’air bien informé, Mac.
          Ouais, je me tiens au courant et c’est tout. Bon, tu m’aides où tu attends la pause ?
          Ne t’énerve pas, Mac. Je suis encore là et je fais ce que je peux pour te donner un coup de main, je te signale. Mais tu penses que les Déménageurs de l’Extrême ont pu commettre une erreur ? Il paraît que c’est de leur faute si la planète a été dévorée par un trou noir.
          C’est des conneries, tout ça. C’est une autre société qui leur avait piqué le contrat sous le nez, en fait. Déménage-Éco, ils s’appellent. « Éco » pour « économique ». Tu parles. C’était leur premier gros coup, mais vu comment ils se sont plantés ils ne risquent pas d’avoir de nouveaux clients de sitôt.
          Oui, à leur place, je mettrais la clé sous la porte et je me cacherais en périphérie chez les sauvages, renchérit Théo, convaincu par la version de Mac.
          C’est raté. Ils sont en prison et quand ils sortiront de leur trou ce sera pour sauter dans un cercueil.
          Dix milliards de victimes, quand même. La peine de mort, c'est le minimum. Ah ! s’exclame Théo en entendant sa montre émettre une petite musique. C’est l’heure de ma pause. Désolé, Mac. À tout à l’heure, hein ?
          C’est ça, ouais, laisse-moi me démerder avec le patient, comme d’hab’, grogne Mac en regardant son collègue quitter la pièce puis revenir en arrière l’espace d’un instant.
         Ça ne t’a pas dérangé tant que ça avec la jeune, si ? s’esclaffe Théo avant de s’éloigner dans le couloir.
Resté seul dans la chambre, Mac se tourne vers Herbert. Il débranche l’électrocardiogramme puis dévisse lentement le goutte-à-goutte relié au bras du patient prostré. Il en remplace ensuite le contenu par une poche remplie d’un liquide transparent avant de le remettre en place, toujours aussi soigneusement.
          Désolé, mon gars. Rien de personnel, hein, mais les ordres c’est les ordres. Faut bien vivre, dit l’infirmier en observant le visage d’Herbert se figer puis se contracter sous l’effet d’une douleur soudaine.
Mac intervertit à nouveau les poches du goutte-à-goutte et rebranche l’électrocardiogramme. Dans la salle des médecins de garde, il n’y a personne pour voir clignoter l’alarme de la chambre 36. Herbert Léonard, trente-six ans, ex-résident de la planète Makin-3, est déclaré en état de mort cérébrale deux heures plus tard ce mardi 4 novembre 2324, par le médecin-chef de l’hôpital Lania du secteur de Gilgash.
   Ainsi va la vie.






Dragon Ronchon
d'



Plic. Ploc. Plic. Ploc…

Encore ces satanées stalactites. Y’a rien qui énerve un dragon autant qu’une stalactite en formation. C’est vrai quoi, ça dure des millénaires à se fabriquer et ça sert à rien. Mais alors, absolument à rien ! Y’a bien les Humains qui s’extasient, « ohhhhh regarde celle-là, elle ressemble à un… à une... hum hum » mais même eux se lassent au bout de quelques minutes. Imbéciles. Et nous, pauvres dragons, on supporte le bruit des gouttes qui tombent pendant des siècles. Certaines nuits, on peut même imaginer le cheminement de la goutte d’eau qui entre dans la grotte par infiltration, ruisselle le long de la concrétion calcaire, ajoutant sa touche personnelle à un édifice millénaire, et qui termine sa chute loin, loin en bas... En général, au matin de ces nuits là, on a une migraine d’enfer. Les stalactites, ça fiche la migraine, c’est moi qui vous l’dit. Foi de Dragon Ronchon.

Tiens, d’ailleurs, c’est pareil pour les Nains. Evidemment, un Nain, ça n’est pas millénaire. Mais c’est bruyant ! Vous n’avez pas idée. Ils passent leur temps à piocher. Je pioche, donc je suis, ça doit être ça l’adage des Nains. Du coup, de l’aurore au crépuscule, on peut entendre résonner les coups et leurs chansons naines. Ah oui, les chansons Naines. Ils en raffolent. Pas nous. Vous avez déjà entendu chanter un Nain ? Je ne parle pas des Nains champêtres, ceux qui poussent une brouette pleine de fleurs à côté d’un puit en pneu et d’une biche en céramique. Ceux là se tiennent à carreau, ils n’ont pas envie qu’on leur rajoute Blanche-Neige comme garde-fou. Non non, moi je parle des vrais Nains, ceux qui se croient à l’abri dans les montagnes. Ils se comportent comme l’Humain moyen qui croit être seul : ils chantent à tue-tête le dernier tube ringard, aussi fort que faux. Seulement les Humains ont vite compris qu’on ne pouvait pas chanter partout : une petite chanson fredonnée innocemment dans les bois et une flèche vous transperce le couvre-chef illico. Un petit refrain dans la montagne et on a vite fait de se retrouver sous un rocher. Alors du coup ils chantent chez eux et ils ne font de mal à personne (encore que les souris se soient syndiquées, il paraît). Mais les Nains ! Non seulement chez eux, c’est presque chez nous, étant donné que nos grottes sont souvent reliées à leurs souterrains (la géologie nous accable), mais en plus, le son rebondit le long des boyaux ! Déjà cauchemardesque au départ, après des dizaines de lieues de rebonds sur la roche une chanson naine devient une arme de destruction massive.

C’est solide un dragon, mais ça a la santé mentale fragile. Il parait que le vieux Dragon Kepon, qui habitait près d’une grande cité naine, s’est soudainement mis à parler aux fleurs. Evidemment ça pose problème, puisqu’un dragon, avec les griffes livrées en accessoire, n’a pas la précision nécessaire à la cueillette des fleurs. Du coup, il passe sa vie allongé dans l’herbe. Les Humains lui lancent des cacahuètes. C’est plutôt vexant. Et puis les Elfes sont assez contrariés, c’est leur truc la flore et ils n’aiment pas qu’on piétine leurs plates-bandes. On a bien essayé de lui parler, au vieux, on lui a même ramené ses armures-souvenirs, pour lui remémorer ses exploits passés. Rien à faire. Y’a pas à dire, une chanson naine, ça attaque.

Tiens, autre chose encore qui m’énerve. Les alchimistes. Faut toujours qu’ils rajoutent un morceau de dragon dans leur recette. Mais on y tient, nous, à nos écailles ! Après cinq cent ans passés dedans, on devient sentimental, croyez-moi ! Pensez-vous que ça les arrête ? Que nenni ! Encore, les cuistots et les apprentis sorciers ne sont pas trop dérangeants. On en rôtit un ou deux et ils se mettent subitement à cuisiner de la biche et du lapin, ou à aller chercher un rayon de lune à la place. C’est moins douloureux. Mais un alchimiste, c’est têtu et quand il s’agit de potions de grande valeur, ils s’acharnent. Plus d’un dragon s’est réveillé un matin avec une dent en moins et des écailles inscrites aux abonnés absents. Ils ont de la chance qu’on ait le sommeil lourd, c’est moi qui vous l’dis !

D’ailleurs, je planche sur un nouveau système d’alarme, qui nous permettrait de nous réveiller juste à temps pour griller les maraudeurs. Un avertisseur plutôt résistant et suffisamment simple pour que tous les dragons puissent s’en servir… Même Dragonne Mignonne, qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre, si vous voyez ce que je veux dire… J’ai bien observé les gobelins (tiens, encore un truc qui m’énerve ça, mais on en reparlera un autre jour), et je crois que j’ai compris comment ils bidouillent leurs machins. Le souci, c’est qu’il me faudrait du cuivre, et moi, côté métal, chuis plutôt équipé or et argent. Va falloir que je lance un raid sur une ville de pauvres. Ou que j’aille sous un pont.

Ah, un pont. Vous avez pas compris pourquoi je pensais aller chercher du cuivre sous un pont, pas vrai ? Allez, rappelez-vous. Vous avez jamais croisé d’imbécile qui balance une pièce dans la flotte, pour faire un vœu ou pour payer son passage aux trolls ? Ah oui, d’ailleurs, tant qu’on y est, cette histoire de trolls, là, qui crèchent sous un pont et bouffent tous ceux qui passent, eh ben c’est une belle arnaque. Vous savez où ils sont, les trolls ? Au pub, comme tout le monde ! Et quand ils ont plus de monnaie pour payer leur Guiness, ils viennent ratisser les fonds de rivières ! Ahhh, ils ont la belle vie, ça c’est sûr ! J’aurais dû faire troll, moi ! Dragon, c’est pénible.

C’est vrai, quoi, regardez. On a des ailes magnifiques, avec une envergure de fous, capable de cacher le soleil, et on vit dans des grottes. Sérieusement. Des grottes. Minables, en plus, sans parler du chant des Nains (on va pas revenir là-dessus, ça va m’agacer, et c’est pas bon pour ma tension). Vous voyez pas où est le problème ? Ah bon ? Vous imaginez, si ça nous gratte sous l’aile gauche, déployer tout le fatras de membranes cartilagineuses DANS UNE GROTTE ? C’est un peu comme ouvrir un parapluie dans un placard, là. D’abord, on a l’air con, et ensuite on se crève un œil. Pis je vous raconte pas comment on galère pour tout remballer. Alors du coup, on doit sortir pour se gratter. Là, vous commencez à comprendre. S’étirer le matin ? Dehors. Les exercices d’assouplissement ? Dehors. Se gratter, se tourner, regarder si on a pas les griffes trop longues… DEHORS ! TOUT doit avoir lieu dehors. Même la chose, là, dont j’ai passé l’âge. Ça a quand même quelques côtés ennuyeux, pas vrai ?

Vous allez me dire, oui mais, au moins, vous êtes riches. Ben oui mais l’or, l’argent, les diamants, et tout le tintouin, on les utilise pas, on dort dessus ! Mais quels cons ! Dormir sur des diamants ! On se ferait moins mal sur des planches à clous ! Bon, au moins, l’or, c’est mou, et en piécettes ça épouse pas mal les formes. Mais bon, faut quand même le piétiner un sacré bout de temps, notre trésor, avant qu’il devienne un tantinet confortable. Non, confortable, je vais trop loin. Tolérable.

Donc, je résume. On vit dans des grottes humides pourries, avec des voisins qui nous rendent fous, on se casse une aile à chaque fois qu’on se retourne et on dort sur ce qu’il y a de pire au monde. Y’a pas à dire, ça envoie du rêve… Enfin au moins le vieil adage « l’argent ne fait pas le bonheur » que votre mémé vous ressort chaque mercredi, vous comprenez d’où il vient, maintenant. C’est parce que votre mémé, en fait, sous son fichu à fleurs, ben c’est une sacrée spécialiste en dragons.

Eh, ça vous la coupe, hein ? 

Bon. Demain, on parlera des chevaliers et des princesses. Vous allez voir, ça va vous plaire. Mais demain. Parce que là, j’ai un trésor à tasser.

Dragon Ronchon, 8ème du nom.
 



3 commentaires:

  1. Oh, cruel, cruel dilemme. J'aime les deux, avec une légère préférence certes mais plus de forme que de fond (une des nouvelles réclamerait un petit ajustement). Impossible de jouer à pile ou face. Allons, votons pour le texte qui nous semble le mieux fichu (même si l'autre... ah, et zut de zut!).

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  2. Bonne chance pour résoudre ton dilemme, Jean-Christophe. :D

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  3. Dilemme résolu. Je ne dévoilerai rien, mais je certifie avoir bien voté.

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