"Si l'art n'a pas de patrie, les artistes en ont une." Camille Saint-Saëns

"Un seul rêve est plus puissant qu'un millier de réalités." J.R.R. Tolkien

samedi 23 mars 2013

2ème Tournoi des Nouvellistes - 8ème de finale n°1 : Sylvain Desvaux aka Shangry / Anne Muller



C'est parti ! Les portes du nouveau Tournoi sont ouvertes ! 

Vous trouverez ci-dessous le planning des duels. Cliquez sur l'icône pdf pour le visualiser.




Voici donc les deux premières nouvelles du 2ème Tournoi des Nouvellistes : Deuxième vie, dernière vie de Sylvain Desvaux aka Shangry opposée à Une lumière dans l'ombre d'Anne Muller. Lisez-les et votez ensuite, grâce au module situé tout en bas de cet article, pour votre texte préféré. Vous avez une semaine, jusqu'au vendredi 29 mars 2013, 23h59, pour voter. Celui qui aura obtenu le plus grand nombre de votes l'emportera et sera qualifié pour le tour suivant tandis que son concurrent sera éliminé.

N'hésitez pas à donner votre avis sur ces nouvelles dans un commentaire, en fin d'article. Pour cela, cliquez sur le titre de l'article pour voir ce dernier en entier et descendez jusqu'en bas. Un espace réservé aux commentaires s'y trouve.

Bonne lecture et bonne chance aux duellistes !



Pour en savoir plus sur les auteurs, rien de mieux que de se rendre sur leur site / blog / page facebook. 
Pour connaître les adresses, 
rendez-vous à cet endroit.




 Huitième 
de finale  
n°1  



nouvelle n°1
Deuxième vie, dernière vie
de
            Je m'appelle Sylvain, j'ai trente-cinq ans, je suis un chômeur doublé d'un poète raté. Mon compte en banque est aussi vide que le sont mes poches, aussi inutile que la place que je réserve pour la femme de ma vie dans mon cœur de romantique incompris. Il est un peu plus de deux heures du matin, la nuit est glaciale, et si je me tiens debout sur le bord du parapet du pont Fari, mon blouson posé à mes pieds, ce n'est certes pas pour déclamer du Rimbaud ou du Verlaine à la face d'un monde assoupi que je ne supporte plus. J'ai la ferme intention de noyer mes tourments et ma personne en un seul bain de minuit, dans les eaux noires et glacées de la Seine.

            Je n'ai pas choisi ce pont par hasard. J'ai lu quelque part que cet endroit est surnommé « le pont des miracles » . Dans une bouffée d'humour macabre, j'ai décidé de faire mentir la légende en offrant, en guise de miracle,  un poisson de l'espèce « poètus maudicus ». Impropre à la consommation, ce spécimen est bourré de défauts et d'arêtes, dont certaines ont pour nom « orgueil », « vanité », où « fierté mal placée ».  

            En fait, je devrais déjà m'être jeté par dessus-bord, voire m'être noyé, mais il se trouve que je subis un petit impondérable. Je vais avoir du retard sur mon planning. Cependant, peut-on être en retard à l'heure de sa propre fin ?

            Il y a moins d'une minute, une créature ailée auréolée de lumière a jailli de sous mes pieds, de sous le pont. Elle est montée à hauteur de mon visage et se maintient en vol stationnaire à environ vingt centimètres de mon nez frigorifié, m'enveloppant dans une lumière douce à la nuance rosâtre, tel un soleil couchant miniature. Je dois plisser les yeux pour ne pas être aveuglé.

            J'ai beaucoup de défauts, mais l'alcool et les drogues n'en ont jamais fait partie. Je peux affirmer que ce qui vole et bourdonne devant moi n'est ni une libellule, ni une luciole.

            Est-ce une hallucination ? Ai-je déjà sauté, est-ce cela être mort ? Au sein de cet océan de lumière, je distingue un petit corps, aux rondeurs féminines. Et j'entends une voix flutée, à peine audible, mais bien réelle, qui me demande d'un ton enfantin:

            — Pourquoi tu dis non ? Pourquoi ne pas dire oui ?

            C'est un peu trop pour moi. Je panique et je perds l'équilibre. Je vais tomber. Je ferme les yeux, appréhendant mon plongeon dans l'eau froide, appelant la mort de mes vœux. Sous mes paupières fermées, je vois toujours cette lumière si chaude qu'elle me brûle, si aimante que des larmes spontanées inondent mes joues.

            Alors que je chute, m'estimant déjà mort, la lumière se fait monde et m'aspire. Le gros « plouf » censé signaler la fin de mon existence se fait désirer. J'ouvre de nouveau les yeux. Je me retrouve face à face avec une scène de mon passé.

            — Écrire, tu peux le faire chez mes parents. Je n'ai pas envie qu'on se perde. Je n'ai pas envie que notre histoire se termine là... Viens habiter chez moi, ça te servira à quoi de monter à Paris ?

            La fille aux yeux gris et aux longs cheveux blonds, qui prononce ces mots d'une voix suppliante, se nomme Manon. L'amour de ma vie, que j'ai abandonné en chemin. L'abruti au look ténébreux, la mine renfrognée, la tête rentrée dans les épaules, assis sur ce banc de jardin public sous un radieux ciel d'été, c'est moi. Déjà prisonnier de mon rôle d'incompris, rêvant de gloire et de reconnaissance. J'ai vingt ans, mais ce n'est pas une excuse pour être un con pareil. Je m'entends redire, comme je l'ai dit il y a quinze ans:

            — Écoute Manon, nous deux c'était chouette, mais je n'ai pas envie de me retrouver comme un beauf de province à trente piges, coincé dans un bled paumé genre Trifouillis-les-oies. Si tu cherches un mec pour te caser, tu en trouveras plein. 

            La scène disparaît, ou plutôt, la lumière qui la baignait se remplit de ténèbres... Je suis de retour sur le pont, mais je ne me tiens plus sur le parapet, entre la vie et la mort. Mon blouson jeté sur mes épaules, j'avance d'un pas mécanique sur le trottoir me ramenant vers le quai, vers la vie. Je ne suis pas tombé à l'eau, j'ignore comment cela est possible. La créature de magie et de phosphènes qui m'a infligé ce flash-back honteux et fait capoter mon suicide virevolte autour de moi. Je l'entends me dire:

            — Pourquoi t'as dit non ? Pourquoi tu voulais pas jouer ? 

            Il y a une compassion sincère, presque palpable, dans sa voix, qui me renvoie à ma propre connerie, sans limites elle aussi. Devant l'absence de réponse de ma part, ma sauveuse déploie ses deux bras, tout son corps semble s'ébrouer. De ses ailes jaillissent des images, peut-être me les communique-t-elle par la pensée, je ne sais pas trop comment cela fonctionne.

Je vois le mariage qui n'a pas eu lieu, je vois les enfants qui ne sont jamais nés. Je vois Manon me sourire, je comprends que ce sourire est tout ce qui m'a manqué, tout ce qui me manque encore. Je n'ai plus rien écrit sur l'amour depuis mes années fac, prétendant qu'un véritable poète devait se consacrer au monde, pas à de telles niaiseries.

       Manon. Son sourire, ses bras, le reflet d'or qui jouait dans ses cheveux.

       Manon. La tiédeur de sa peau, sa voix qui brisait mon silence intérieur, son rire qui me désarmait à coup sûr.

            Je ferme les yeux devant tant de bonheur, devant tout ce que je n'aurai jamais et que je n'ai jamais mérité. De nouveau la lumière rosée me happe et m'entraîne.

            Quand j'ouvre les yeux, je suis dans un bureau. Anne, mon éditrice, qui a publié deux de mes recueils de poésie, lit une série de feuillets écrits de ma main. J'ai vingt-cinq ans, je crois être heureux, je vois la reconnaissance et la célébrité enfin à ma portée. Ma posture nonchalante et mon sourire en coin trahissent mon arrogance. Mes vêtements bon marché, mon eau de toilette tapageuse et mes cheveux en manque de coiffeur racontent une autre histoire, celle d'un auteur qui rame.

            — C'est pas mal... Mais quand est-ce que tu arrêtes la poésie pour nous pondre un roman ?  me demande Anne, reposant ma prose sur son bureau croulant sous les piles de manuscrits d'aspirants écrivains. Je me marre :

            — Les romans, c'est bon pour ceux qui se prétendent écrivains mais qui ne pigent rien à rien à la langue française. Pondre une histoire, n'importe quel scribouillard sait le faire. 

            Dans une nouvelle flamboyance, retour au monde réel. J'ai atteint le quai, je m'éloigne du pont en suivant la rue Dassault, d'une démarche toujours aussi raide. Ce n'est pas moi qui suis aux commandes. On me pilote.     

       — Le scribouillard, c'est toi ! Scribouille, scribouille, mais nie ce que tu es ! Nie, nie, niquedouille ! chantonne la créature qui m'accompagne, sur le ton d'une comptine pour enfants.

            Bizarrement, les rues sont désertes, il n’y a pas un chat en vue. Personne à part moi pour voir ce prodigieux spectacle miniature oscillant au-dessus de mon épaule gauche. Les rues de la ville me paraissent atrocement laides ce soir. Ce point de vue est-il le mien où celui de mon amie la fée, si c'en est une ? De ses ailes jaillit un passé que je n'ai pas laissée se réaliser, un rêve que je n'ai pas laissé se concrétiser : mon premier roman acheté par une modeste maison d'éditions pour une somme très modique, puis un deuxième, puis un troisième... Je me rends compte qu'écrire un roman n'est pas si simple, le vendre encore moins. Anne me soutient dans ce futur que je me suis refusé, elle ne m'abandonne pas à mes délires mégalomanes comme elle l'a fait voilà six ans. Au bout du huitième roman, c'est enfin la consécration, la reconnaissance, celle que j'ai cherchée toute ma vie sans la trouver. Celle dont je me suis délibérément écarté. Je chiale comme un môme quand la dernière image disparaît. En bon imbécile que je suis, je m'empresse d'engueuler celle qui me montre mes erreurs:

            — Putain, mais j'ai rien demandé moi, fée clochette à la con, qu'est ce que tu viens foutre le bordel dans ma tête avec tes images de merde ! Tu me trouves pas assez minable, c'est ça ? T'as besoin de me voir ramper à tes pieds ? Laisse-moi crever, bordel !

            Elle va m'abandonner, forcément, comme tous ceux qui se sont lassés de m'offrir des mains que je refusais d'attraper, me rendre à la solitude de la nuit et à ma bêtise humaine. Je me sens tellement insignifiant que je le souhaiterais presque. Mais non,  elle me répond d'une voix espiègle, en chantonnant :

            — Je te condamne à vivre avec tes espoirs, scribouillard niquedouille. Plus jamais, ne reviens souiller mon pont, ou je te reprendrai tout, les rêves et les cauchemars. Ton chemin commence ici, aujourd'hui, deuxième et dernière vie ! 

       Sur ces mots, elle disparaît d'un coup, dans une explosion silencieuse de lumière bleue. Je trébuche lorsque le contrôle de mon corps m'est rendu. J'ai très froid et très faim. Je me tiens debout à l'entrée d'une ruelle crasseuse. Il me semble reconnaître les environs ; si je ne me trompe pas, je suis à un bon kilomètre du pont Fari.

            Déjà, la certitude que tout cela était réel s'estompe dans mon esprit. Me voilà rendu à mon désespoir, à ma vie inutile. Je vais rentrer chez moi et me pendre, ça me permettra d'oublier la fée clochette et ses prédictions au conditionnel. À quoi me sert de rencontrer une fée ? Pour elle, je n'étais qu'un scribouillard niquedouille, tout juste bon à souiller son pont au point de m'en faire chasser.

            Devant moi, un tas de cartons s'agite, sans doute un clochard abruti par l'alcool que je viens de réveiller. Je tourne le dos à cette silhouette, bien décidé à ne pas paraître aussi démuni qu'elle, lorsqu'une voix de femme jaillie de mon passé résonne à mes oreilles rougies par le froid.

            — Je le crois pas... 

            Je m'immobilise, incrédule. Malgré moi, je me retourne.

       — Je le crois pas...  répète la femme qui se tient debout sur son tas de cartons, vêtue de plusieurs couches de vêtements dans l'espoir d'adoucir la morsure de l'hiver.

       — Sylvain, c'est toi ? 

            C'est Manon. Ses cheveux sont ternes, quelques rides précoces marquent le coin de ses lèvres, elle a été marquée par la vie, mais c'est Manon : la seule femme que j'aie jamais aimée, et à qui je n'ai jamais osé l'avouer. Elle ne me sourit pas. La rue a bouffé son sourire.

           

           



            « Ton chemin commence ici, aujourd'hui, deuxième et dernière vie ».

            J'ai suivi le commandement de mon amie la fée.

            J'ai ramené Manon chez moi, dans le studio sordide où je réside depuis deux ans.  Elle vivait depuis dix mois dans la rue, victime de la récession et de l'isolement.

            Je lui ai dit que j'étais désolé, que je n'aurais jamais dû l'abandonner. J'ai chialé. Elle m'a dit que ce n'était rien. Qu'elle n'avait rien à me reprocher, qu'on était ce qu'on était, et que j'avais été un jeune con prétentieux qui lui avait pris sa virginité. Elle ne m'a pas pardonné ce soir-là, et je doute qu'elle le fasse jamais. Tant pis, ce n'est pas comme si je méritais d'être pardonné.

            Je lui ai offert mon lit, j'ai pris le sofa.

            Ça n'a pas été facile au début. J'avais encore des bouffées d'orgueil, elle avait encore ses habitudes de la rue. Il nous a fallu trois mois pour nous embrasser et reprendre notre histoire là où nous l'avions abandonnée par ma faute.

            J'ai pris un boulot de préparateur de commandes, elle a réussi à trouver un mi-temps, qui a débouché sur un contrat à temps plein dans une blanchisserie industrielle. Dix-huit mois après ma rencontre avec la fée, nous avons emménagé dans un F2. Nous envisageons le mariage.

            Aujourd'hui, j'ai repris contact avec Anne, mon ancienne éditrice. Je lui ai exposé mon projet de roman,  je lui ai posté le manuscrit. Elle n'a pas été rancunière. Elle croit toujours en moi et m'a promis une réponse rapide.

            Je n'ai plus pensé au suicide. Je n'ai raconté à personne ce qui s'est passé cette nuit-là ; ce qui m'arrive est suffisamment miraculeux en soi.

            Manon sourit de nouveau. Chaque fois que ce miracle ordinaire se produit, je repense à cette vie que m'a montrée mon amie la fée. Cette vie ratée, gâchée par ma faute. Je fais tout pour réussir ma deuxième vie, celle qui m'a été octroyée de bonne grâce.

            Quelques semaines après l'épisode du pont, le cadavre d'un inconnu a été retrouvé dans le canal, trop abîmé pour être identifiable. Sur la photo qui illustrait l'article, on voyait les pompiers repêcher le noyé. Il portait la même chemise et les mêmes chaussures que moi ce jour-là, mais pas de blouson. Normal, le blouson, il se trouvait sur le parapet, là où je l'avais laissé. Les forces de l'ordre ne sont pas parvenues à identifier le corps.

       Ça fait tout drôle de se voir mort à la page des faits divers dans le journal local. C'est extrêmement perturbant d'y penser, de pouvoir être là et affirmer que j'ai réussi mon suicide. C'est beaucoup trop étrange à mon goût, moi le rescapé de la mort, moi l'écrivain dont le premier roman parle pourtant de fées et de phénomènes paranormaux.

            Je me contente donc de vivre ma deuxième vie, « deuxième et dernière vie », aux côtés de la femme que j'aime, dans l'attente d'une éventuelle réponse favorable de mon éditrice.

            Une dernière chose : Je ne suis pas retourné sur le pont Fari, et je n'y retournerai jamais. Je tiens trop à mes rêves et à mes cauchemars pour cela.







nouvelle n°2
Une lumière dans l'ombre





Sacha ouvrait les yeux, reprenant conscience de l’endroit où elle se trouvait. Son vieux fauteuil d’osier tressé se balançait lentement en d’apaisants grincements. Elle balaya son salon de ses yeux fatigués et se souvint subitement du bruit qui venait de la réveiller.

Quelques bruits secs et métalliques résonnaient à nouveaux contre la porte de la ferme. Mais cette fois, plus empressés et plus violents.



Le grondement du tonnerre montait depuis plusieurs heures déjà, mais durant son sommeil, l'orage avait approché et quelques éclairs brisaient les plaines du Sindhoa. Cette vaste région aussi vide et pétrie de légendes que tout autre monde que celui-ci ne pouvait engendrer. Abandonné des Dieux et des esprits bienveillants depuis tant d’années malgré les efforts des héros de ce temps, oublié et froid. Mais c’est là que Sacha vint au monde et c’est ici qu’elle choisit un jour de s’exiler afin d’attendre sa propre fin.

Elle s’approchait à petit pas feutrés de la lourde porte se demandant quel fou avait échoué jusqu’à elle, puis actionna la serrure, prête a défendre ce qui restait de sa vie.



Elle fît lentement grincer les verrous, puis écarta la porte d’un geste sûr.

L’ombre détrempée attendait, tremblante et menue. Elle s’inclina prestement tandis que Sacha l’évaluait froidement.

« Madame Sacha, c’est un grand honneur pour moi. »

la vieille femme haussa le menton en levant un sourcil, puis, sans un mot, elle tendit une main aux jointures sèches et rudes vers l’intérieur de la maison. L’ombre s’inclina de nouveau puis, d'un pas hésitant, pénétra dans la demeure de la plus grande guerrière de tous les temps. Nombre de légendes rapportaient ses exploits, et ce qu’elle fît pour ce monde, jadis. Depuis des années, elle s’était recluse en ce lieu sordide, loin des mondanités de la ville, et loin de ses élèves. Depuis, les choses n’avaient fait que s’aggraver aux frontières, et tous cherchaient de nouveaux héros prêts à donner leur vie pour la noble cause du Roi Atros.



La jeune main sans défaut dégrafait la broche argentée qui maintenait une lourde cape sombre protégeant son cou, puis en écarta les pans afin de montrer son visage a celle qui venait de refermer les verrous de sa porte.

C'était un jeune homme plein de vigueur malgré un corps fin, au visage tendre, sans barbe ni cicatrice. Ses yeux pales reflétaient la bonté et son sourire crispé cachait l'angoisse qui secouait son torse.

Il était vêtu simplement, mais on pouvait deviner la riche facture des matériaux utilisés pour sa tunique. Sacha ne dit rien mais elle reconnu l'origine des broderies qui ornaient les bords de ses vêtements. Elle l'observait un petit sourire blasé sur les lèvres et posa une bouilloire sur le feu avant de raviver les flammes, puis elle laissa s’écouler plusieurs minutes avant de briser le silence, laissant son hôte découvrir l’antre de celle qui fût source de louanges interminables, jadis.



«  Ainsi le jeune roi Atros a un fils »

«  Oui Madame. Je suis le prince Drackten. Fils d’Atros et Lise, seigneurs de Loophis. »

«  Un titre bien ronflant jeune homme, mais cela ne m’a jamais impressionnée. Lorsque l’ombre et la peur vous entoure, et que vous êtes seul au monde, l’importance accordée aux titres honorifiques a bien peu de poids. Asseyez-vous. »

le jeune prince s’exécuta et tira un petit siège vers l’âtre, puis s’assit doucement tendant les mains au-devant des flammes sans lâcher la guerrière des yeux.

Le temps se ralentit, laissant au deux inconnus la possibilité de se ressentir. Quelque chose commençait ce soir, ils le sentaient tous les deux, mais aucun ne pouvait vraiment comprendre en ce moment précis, quelle destinée les attendait.

La bouilloire entamait son chant, alors qu’un éclair frappa le vieil arbre qui bordait le chemin menant a la ferme, et Sacha sursauta. Elle était fatiguée des épreuves, des combats et même de la vie. Mais cette visite semblait annonciatrice que son temps n’était pas encore écoulé. Son esprit entamait un terrible duel entre la lassitude et la curiosité. Pourquoi le fils du Roi avait pris le risque de traverser seul les plaines du Sindoha ? Ses yeux évoquaient le courage et la volonté et il ne tremblait plus. Le jeune prince avait été élevé dans les meilleurs préceptes, cela se voyait, mais il n’avait pas l’air d’avoir le tempérament de son père. Malgré elle, les souvenirs la submergeaient. Elle dévisageait ce jeune homme, perdue dans les méandres de ses idées contradictoires alors qu’un chant aigu la transperçait jusque dans ses os… la bouilloire.

Elle sortit à l’aide d’un tison la cause de ce bruit infernal puis la déposa sur une table ancienne, placée là il y a des siècles, probablement par le premier habitant de la ferme. Aujourd’hui, elle croulait sous des parchemins et des ouvrages, récits et légendes du monde que Sacha aimait à ouvrir lorsqu’elle ne voulait plus entendre les cris et les bruit de bataille résonner dans sa tête.

L’eau dégageait une épaisse fumée blanche qui embaumait la feuille des prés.

«  Et que me vaut l’honneur de votre visite, Prince Drackten, fils d’Atros et Lise, seigneurs de Loophis ? »

La voix de la femme résonna dans la pièce silencieuse, et Drackten fût surpris de l’énergie de cette veille femme. Il tournait la tête vers elle, se souvenant pourquoi il était venu, et posait ses yeux clairs sur elle, bons et généreux.

« J’ai besoin …. J’ai besoin de votre aide. Nous avons tous besoin de vous. »

Sacha leva un sourcil et éclata d’un rire franc.

«  Vous et vos concitoyens, mon jeune ami, vous bercez de légendes et d’histoires depuis longtemps révolues. Regardez moi prince... regardez bien Sacha Virevent et dites moi ce que vous croyez que je puisse aujourd’hui pour vous. »

le rire s’évanouit doucement dans un coup de tonnerre, et elle versa l'infusion dans deux petites tasses ébréchées, sans cesser de ricaner patiemment.

«  Vous ne comprenez pas ! Les âmes sombres arrivent à nos frontières, ils sont plus nombreux que jamais, plus puissants et plus tenaces ! »

Sacha se leva d’un bond sentant la colère monter en elle.

Elle fit claquer sa voix autoritaire au-dessus du jeune homme qui recula sous l'effet de la crainte

« Je… ne fais plus partie de ce monde ! Pour la dernière fois, tenez- le vous pour dit ! »



Le silence retombait lourdement. Seuls les crépitements du feu et le tonnerre, dehors, continuaient leur dialogue.

Sacha fixait Drackten l’œil vif et brillant, droite et noble comme les nombreuses illustrations de ses histoires la représentaient. Le prince inspira profondément, puis reprit.

«  Et si … Et si vous aviez le moyen de redevenir ce que vous étiez... vous le feriez ? »

«  Ce moyen n’existe pas jeune homme. Il est temps pour vous de faire face, et de protéger votre peuple, comme votre père le fit en son temps. Trouvez-vous d’autres héros. Plus jeune et plein de vie. »

«  J’ai ce moyen »

La vieille femme occupée à retrouver place dans son fauteuil n’avait pas vraiment comprit les dernières paroles du prince. Ses mots erraient longtemps dans sa tête, allant d’un coté, puis de l’autre de ses pensées, s’imprégnant sournoisement dans les moindres replis d’un cerveau usé par l’âge.

Elle avala une gorgée tout en tendant l’autre tasse a son invité.

Sacha termina son breuvage, puis s’essuya les lèvres.

«  Il est tard. A l’étage vous trouverez des chambres propres, prenez celle qui vous conviendra. Je dois dormir. Demain vous reprendrez votre route. »

Drackten baissa les yeux alors que le désespoir inondait son âme. Il imaginait les âmes sombres envahir les rues de sa cité, se déverser dans les couloirs du palais et emporter ses parents, ses amis, et tout ce qui lui importait. Son peuple.

Il se redressa, puis posait sa tasse sur la table, luttant contre sa propre tristesse, et soulevait la lourde cape du sol.

«  Vous savez ce que l'on dit en ville ? On dit que Sacha Virevent est immortelle. L'on dit que Sacha Virevent n'a jamais perdu la foi, et qu’elle veille sur nous. L’on dit que l’égoïsme jamais ne pourra atteindre une âme aussi belle, et que jamais ses armes ne pourront se détacher de son bras pour la vie… pour l’amour… pour Loophis. »

En silence, il monta les marches et disparu dans la première chambre qu’il vit.

Écoutant les pas lourds du prince dans la cage d’escalier, elle soupira longuement, regardant les jointures de ses mains et la peau flétrie qui avait remplacé les muscles fins qui tapissaient son corps, jadis.

Une larme descendait le long d'une joue ridée par les vents et s’écrasa sur le pan de sa robe épaisse, peut-être aussi vieille qu’elle.

L'ombre des flammes qui miroitait sur le mur semblait la narguer de sa danse voluptueuse. L’orage s’était enfin éloigné. Il ne restait plus que le silence et la fraîcheur s’infiltrant sous les fenêtres de la ferme, portant l’odeur des foins et des herbes qui l’entouraient. Cette odeur, elle l'avait humée tant de fois déjà. Tant de moments terribles passés à espérer la sentir une dernière fois, à se souvenir du bien être qu’elle ressentait lorsque les pluies venaient tournoyer au-dessus des champs, déposant la source de toute vie sur les feuilles et les fougères, alors enfin prêtes à grandir et devenir de robustes plantes pour le temps d’un été.

Tandis que les dernières paroles du prince pénétraient dans les plus profondes pensées de la vieille femme, le sommeil emportait Sacha vers d’autres contrées, d’autres vies, et d’autres chants…




Les premiers rayons d’un soleil prometteur s’infiltraient doucement à travers les lattes de bois, malmenées depuis nombre d’années par les intempéries et les insectes. À la vérité, Drackten se demandait en se réveillant comment cette maison parvenait encore a tenir debout. Mais cette pensée furtive s'estompa rapidement au souvenir du refus de Sacha. Il restait un instant au fond d'un lit trop mou et poussiéreux, admirant distraitement les araignées qui travaillaient sur leurs toiles depuis l'aube et laissait ses réflexions aller d’elles-mêmes.

Il connaissait le moyen de permettre à cette femme de retrouver sa jeunesse, mais elle n’avait pas réagit. Après tout il était compréhensible qu’elle n’ait plus envie de se battre pour un peuple qui l'avait refusée lors de ses débuts, mais adulée par la suite. Il y avait même, sur certaines places de la cité, des statues a son effigie. Mais elle l’ignorait. Il devrait rentrer au château et expliquer à ses gens son échec et l'espoir perdu. Il devrait se rendre seul sur le champ de bataille et prouver au monde qu'il était Prince digne de son royaume, seul. Jamais les âmes sombres ne devraient gagner. Jamais elles ne passeraient le fleuve, et il prononça à voix haute, le lore de sa famille, de façon naturelle.



«  Ainsi vont les vents,
Ainsi vont les courants,
Les saisons passeront et le temps des Rois s’écoulera;
D’une main de fer, surmontée de l'épée de Sylla,
Le dernier Roi sur le mal s'abattra. »



La dernière parole du dernier vers flotta à travers les murs et les planchers du taudis de bois. Elle s'insinua jusqu’au moindre clou rouillé et raisonna lentement au-dessus des courants de la rivière souterraine qui traversait les fondations de la ferme. Ses échos virevoltaient contre la roche et les racines des sous sol, furtive et enivrante.

Tandis que ce verbe ricochait sous les plaines du Sindoha, Sacha ouvrait les yeux. Ses rêves l'avaient emportée au loin, vers les frontières du royaume et elle avait vu ce qui se préparait. Les âmes sombres se déverser sur le fleuve grandissant, les familles broyées et décimées, et les arbres brûler.

Elle releva la tête et une partie d'elle s'indigna pragmatiquement de l'absence de flamme dans une cheminée trop vite refroidie par la brume matinale, mais ce n'est pas ce qui retint son attention.

Ce que le prince avait tenté de lui dire éclata soudain dans sa conscience.

«  Et si … Et si vous aviez le moyen de redevenir ce que vous étiez... vous le feriez ? »

«  Ce moyen n’existe pas jeune homme. Il est temps pour vous de faire face, et de protéger votre peuple, comme votre père le fit en son temps. Trouvez-vous d'autres héros. Plus jeune et plein de vie. »

«  J’ai ce moyen » ….............. J’ai ce moyen. Que veut-il dire ? Comment pourrait-il être possible de rajeunir ? Quelles conséquences payent le prix d’un tel affront a la nature ? Nombre de questions se soulevaient et les réponses n’étaient pas a sa portée. De façon automatique, son regard se posa sur les marches qui allaient vers l’étage. Il était encore là, elle le sentait.

Sacha s’éclaircit la voix de quelques toussotements rocailleux, puis elle appela le Prince. Une seule fois suffit, à son grand soulagement.



Drakten dévalait les marches, reposant sa cape sur ses épaules, puis sourit tristement à la veille femme, prêt a prendre congé.

Elle ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche. Debout, les mains le long de ses cuisses, elle fronçait les sourcils en le regardant, puis prit la parole.

«  Que voulez vous dire par : rajeunir ? »

Tel un incendie, l’espoir s'embrasa dans l’âme du prince et un torrent de joie incontrôlable le submergea. Il se précipita vers elle et posa un genou a terre.

«  Si vous le souhaitez, madame... je connais le moyen de vous rendre votre jeunesse. L’épreuve est ardue, mais je suis prêt à tout tenter pour rendre à mon royaume sa véritable bienfaitrice ! »



Sacha observait le dos du prince bouche bée. Elle n'avait pas rêvé, il voulait l'aider à retrouver ses forces d'antan. Il affrontait les lois de la nature, et se préparait à changer une chose inaltérable.



« Mais... comment ? »

« Il y a au loin, dans les montagnes perdues, un endroit. » Drackten se releva et plongea ses yeux dans ceux de Sacha

«  Un endroit où coule une eau spéciale. Une fontaine dans laquelle se sont déposées au cours des âges, de petites pierres »

«  Je connais cette légende »

« Oui mais ce qu’elle ne raconte pas, c’est que ces pierres ne sont pas venues seules dans cette fontaine,  Madame. Je peux vous y emmener, et nous découvrirons ensemble qui ou quoi a fait de cette eau, une source guérisseuse. Nous aurons alors le moyen de vous rendre ce que le temps vous a enlevé »

Sacha soupesait sans lâcher le jeune des yeux, les probabilités de véracité. Il était vrai qu’une ancestrale histoire parlait d’une eau guérisseuse, mais elle savait que beaucoup de chose n’avaient pas été dévoilées sur les causes de ce phénomène. Elle avait vu la montagne et elle avait aussi vu les gardiens qui veillaient sur ses flancs.

Des êtres ailés aux petites cornes d’or qui voyageaient sur les cimes et les contreforts des montagnes sans cesse.

Après tout qu’avait-elle à perdre ? Il était possible que ce voyage la tue, mais elle n’avait plus rien à regretter. Et si par miracle c’était vrai ? S’il parvenait à la rajeunir ? Alors oui. Elle reprendrait les armes, et la tête de l'armée du royaume. Elle le ferait. Sacha hocha de la tête lentement, l'air décidé, puis sans un mot, elle s’approcha d’un petit mur que la haute cheminé masquait a la vue des visiteurs et décrocha respectueusement une longue épée recourbée qu’elle libéra de son fourreau avant de la brandir comme elle le faisait jadis devant des ennemis, réputés trop nombreux, ou trop puissants.





La légèreté de cette arme avait fait le tour du royaume depuis longtemps. C’est avec elle que Sacha rendit sa liberté au royaume de Loophis. Avec elle que l'esclavage et la peur trouvèrent leur fin.

Sacha Virevent, maître d’arme, chef d’armé, héroïne des anciens contes ressuscitait.



Drackten ne pu réprimer un sourire enthousiaste devant ce spectacle inespéré. Il laissait échapper un rire, puis enfila sa cape, imité par la vieille femme qui avait l'air d'avoir perdu dix ans.



Dans cette matinée ensoleillée d’un début d’été annonciateur de destinée, deux amis sortaient d'un taudis perdu dans une région déserte d’un royaume déchiré par de grandes et anciennes batailles, priant pour son salut, et l’intérêt des Dieux.





 
 
 
 

10 commentaires:

  1. La deuxième nouvelle m'a bien plu, par contre, si je peux me permettre, la première nouvelle pourrais être bonne si le rythme de l'histoire ralentissait, ça va beaucoup trop vite, on à pas le temps de s'accrocher au personnage!
    Son coté cynique au possible est très intéressant en plus mais à vouloir le rendre trop cynique, on peu très vite rendre un personnage antipathique je trouve.

    Pour la deuxième nouvelle, je la trouve très réussi, une complicité entre les protagonistes à la limite de l'épique, une trame pleine d'esprit... Je ne peux qu'apprécier cette nouvelle ;)

    Voila pour moi, et bonne continuation aux auteurs!

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  2. J'avoue avoir voté pour la première histoire car, elle possède une fin.
    Pour répondre au commentaire précédent, sur le personnage, je pense qu'il s'agit d'un effet recherché. Après tout, un personnage légèrement suicidaire ne peut pas être plein de vie et heureux au possible.

    Concernant la deuxième, j'avouerai que l'orthographe "Sindhoa/Sindoha" m'a un peu perturbé au début et m'a dérouté de l'histoire. J'ai donc laissé le nom de côté.
    "Une lumière dans l'ombre" demande certainement la suite des aventures de Sacha, aventures que l'on ne peut suivre actuellement malgré une promesse de l'auteur qu'elles seront captivantes.

    Bonne continuation aux auteurs également.

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  3. Le deuxième texte n'est pas vraiment une nouvelle. Le ton est réussie et l'écriture maîtrisée. Je vote pour le premier car comme dit le premier commentaire, il y a une fin mais pas seulement : ce texte est original. Je ne me suis pas ennuyée une seconde.

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  4. Même si le premier texte est mieux écrit, son thème de fantasy urbaine est un peu trop naïf face au côté épique du deuxième, qui aurait tout de même mérité une relecture...

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  5. Je précise que les textes sont publiés tels qu'ils nous ont été transmis. nous ne les corrigeons pas. Il appartient donc aux auteurs d'envoyer des nouvelles relues afin que les lecteurs ne sanctionnent pas les problèmes de conjugaison, de syntaxe ou d'orthographe.

    La nouvelle de Sylvain Desvaux est très bonne, peut-être un peu classique mais même si la fin est un peu naïve, les "happy ends" font parfois du bien. ^^

    Le texte d'Anne Muller est une nouvelle à suivre, voire le début d'un roman. Cela peut être handicapant dans un concours mais le thème est attirant et la suite s'annonce alléchante.

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    1. Pour la relecture, je l'avais compris comme ça !

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  6. J'ai voté pour le premier texte car véritable nouvelle + comme le dit si justement Aramis, parfois un peu de positif / naïf, ça fait du bien.

    Mais les deux textes sont intéressants, donc le choix ne fut guère aisé.

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  7. Bonsoir,
    J ai beaucoup apprécié la première car le style est agreable et on peut tout a fait s identifier au personnage ce qui donne un caractere plus attachant a l histoire. qui j a jamais revé de reparer une de ses erreurs passées ? La deuxieme est d un style plus soutenu mais ne relève pas de la nouvelle, pas de chute percutante ce qui est decevant. pour avoir essayé l exercice le plus dur est evidemment de trouver une fin qui détonne !
    J ai donc voté pour Sylvain.
    Bonne continuation.

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  8. Bonjour !
    J'ai lu avec attention les deux nouvelles, je trouve quand même bien décevant que celle d'Anne comporte autant de fautes. Word signale quand même 10 fautes notamment l’accent du à (il y en a beaucoup plus encore, j’en ai compté 25 de plus, notamment les conjugaisons). Elle est sympathique, mais ne mérite pas d’aller plus loin. Celle de Sylvain respecte bien plus ses lecteurs, elle n’est pas parfaite, mais c’est une vraie nouvelle et elle possède un charme certain elle-aussi.

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  9. J'ai voté pour la deuxième. Malgré le manque de relecture, elle promet de grands moments si l'auteur diffuse la suite que je suivrais avec attention. le style est fluide, les images percutantes et l'ambiance prenante.
    Concernant la première, je l'ai moins appréciée car l'exercice de l'écriture au temps présent reste acrobatique et pesant, parfois. je rejoins un autre commentaire qui disait que le rythme est trop rapide. on a du mal à suivre et on doit reprendre la lecture à plusieurs reprises pour rester dans l'histoire.

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