"Si l'art n'a pas de patrie, les artistes en ont une." Camille Saint-Saëns

"Un seul rêve est plus puissant qu'un millier de réalités." J.R.R. Tolkien

mardi 19 février 2013

Des Nouvelles du Hasard : "Margot" (d'Alizée Villemin)

Une autre nouvelle du hasard, cette fois-ci d'Alizée Villemin, la gagnante du Tournoi des Nouvellistes. Son texte s'intitule Margot.

Les éléments imposés qui furent déterminés se trouvent listés après la nouvelle. Cependant, afin de ne pas gâcher le plaisir de la lecture, je vous conseille fortement d'y jeter un œil APRÈS avoir lu le texte.

D'autre part, vous pourrez noter cette nouvelle, tout en bas de cet article. Le style, la qualité d'écriture comptent bien sûr pour la note, mais il faut également juger si le contrat a été rempli : les éléments imposés ont-ils tous été traités convenablement ? 

N'hésitez pas à laisser un commentaire. Merci et bonne lecture !



-oOo-



Margot

Alizée Villemin






Ce fut le cri des charognards qui m’alerta en premier. Ils tournoyaient au sommet d’une colline, attirés par quelque chose dont ils n’osaient s’emparer. Curieuse, je décidai de retarder quelque peu mon pèlerinage pour aller voir.
Une fois sur place, j’aperçus ce qu’ils convoitaient : un cadavre étendu sur le ventre. Une femme d’approximativement mon âge, ma corpulence et les cheveux aussi clairs que les miens, même s’ils étaient bien plus longs. Ici s’arrêtait néanmoins la comparaison ; en m’approchant, je pus constater qu’une atroce cicatrice la défigurait, traversant son visage de part en part. Elle avait dû avoir beaucoup de chance pour survivre à une blessure pareille. Je la retournai pour comprendre ce qui l’avait tué. La mare de sang qui imbibait sa chemise au niveau du nombril me renseigna bien vite. Coup d’épée. Sale mort.
Je me redressai, songeuse. Il n’était pas dans mes habitudes de détrousser les défunts, mais ses bottes et sa veste en cuir étaient particulièrement tentantes… J’en avais tellement assez d’être trempée jusqu’aux os… N’y tenant plus, je l’en délestai et dénichai également, pour ma plus grande joie, toute une série de poignards ouvragés de la plus belle facture. Alors que j’allais quitter les lieux, bien mieux équipée qu’avant, un éclat de soleil attira mon œil. Tiens ? Elle portait un bijou autour du cou. Je détachai le pendentif et me redressai en l’admirant dans le creux de ma main. C’était une dent, une canine de carnivore sertie dans de l’argent et gravée d’inscriptions incompréhensibles. Je la mis dans ma poche, sachant que j’en tirerais un bon prix dans la ville la plus proche.
Je me surpris à fredonner en redescendant sur la route. Finalement, la journée n’était pas si mauvaise, enfin, pour moi, bien évidemment. Elle… Bah, le malheur des uns fait le bonheur des autres, c’est bien connu, et j’avais déjà eu ma dose en tragédies. À mon tour d’avoir un peu de positif. Je l’avais bien mérité…
À l’approche du village, je plissai le nez sous l’odeur âpre de la fumée. Les mercenaires avaient encore dû revenir. Je ne savais vraiment pas ce qui les attirait ici, pour y retourner aussi régulièrement… Ne tenant pas à subir tout de suite ce paysage de désolation, je décidai de passer la nuit un peu plus loin. Je m’enfouis sous les buissons, me camouflant ainsi au regard de l’ennemi. Encore une nuit froide et humide, sans toit ni lit.
À mon réveil, je clignai des yeux, aveuglée par le soleil qui transperçait les branchages me protégeant. J’émergeai lentement, un peu hébétée. J’avais perdu l’habitude de cette luminosité ; depuis que la guerre avait commencé, les innombrables incendies avaient obscurci le ciel, et le temps n’avait presque jamais été clément. C’était en tout cas une sacrée bonne nouvelle, j’allais peut-être enfin pouvoir passer une journée complète sans avoir froid !
Une drôle de sensation m’accompagna lorsque je me remis en route. Je ne m’étais pas encore faite à mes nouvelles bottes, et j’avais l’impression que mon pied était un peu compressé, même si elles étaient à ma taille. J’avais simplement cessé de porter des chaussures depuis si longtemps que mes pieds avaient dû s’élargir. Le manteau me gênait également, qui flottait sur mes épaules puisque j’étais bien plus maigre que sa précédente propriétaire… Peu importe. Je m’y ferai.
Je décidai d’affronter le village ce matin. Avec le soleil, le spectacle me semblerait peut-être un peu moins terrible, et puis je ne pouvais pas faire demi-tour maintenant, alors que j'arrivais de si loin...
Le fossé et l’enceinte en bois vieilli me parurent étonnamment en bon état. L’odeur de fumée avait totalement disparu. D’un coup, je me figeai sur la route, à deux pas d’entrer dans le bourg ; étaient-ce des rires d’enfant que je venais d’entendre ? Alors, il y aurait des survivants ?
Je repris la marche, avançant toutefois d’un pas encore plus circonspect que d’habitude, terrifiée, et au détour d’une maison délabrée, un spectacle inespéré me frappa de plein cœur. C’était une fête de village. Des gens dansaient ! Des tables avaient été dressées sur des tréteaux de bois, et la nourriture semblait abondante. Lorsque j’aperçus le cochon de lait à la broche, je me mis à saliver comme jamais.

— Margot ! Maman regarde, c’est Margot !

— Margot ? Oh, par les dieux, c’est toi ! Tu es revenue, j’étais si inquiète ! Mais ton visage… C’est de la sorcellerie ! Et tes cheveux, tu les as coupés ? Que s’est-il passé ? Qu’as-tu fait ? On dirait que tu n’as pas mangé depuis des jours ! Où étais-tu ?

Reconnaissant soudain ma mère et ma petite sœur, tuées sous mes yeux l’année précédente à cette même place, je tombai à genoux et fondis en larmes. Alicia courut vers moi. Je la serrai si fort qu’elle se tortilla pour se dégager.

— J’aime mieux ta tête maintenant, tu me faisais peur avec ta cicatrice. Tu viens manger ? C’est notre dernier cochon. Je suis tellement contente que tu aies réussi à éloigner les mercenaires qui voulaient nous le voler…

Essuyant mes larmes d’un revers de manche, je m’avançai vers ma mère, ne comprenant absolument rien à ce qui m’arrivait, mais n’en ayant cure ; je venais de retrouver la vie que l’on m’avait arrachée.
À mon cou palpitait la mystérieuse dent, dont les inscriptions s’éteignaient progressivement…




-oOo-




Éléments imposés
une chose, un lieu ou une personne / animal : une dent
un thème : un univers parallèle
le + dont on n'avait (franchement) pas besoin ! : aucun


 






Des Nouvelles du Hasard : c'est quoi ? Comment ça fonctionne ?
Liste des nouvelles du hasard


7 commentaires:

  1. Vraiment on ne s'ennuie pas avec cet auteur ! J'avais déjà lu "Dragon, Ronchon" et apprécié le rythme des mots et des images. Ici, c'est un peu pareil, tout est parfaitement agencé.

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  2. J'ai juste en vie de dire c'est tout??? Mais encore!!!!!! Juste un petit peu??Par gourmandise...
    On est de suite dedans, porté par les mots, on a pas envie d'en sortir.

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  3. On se plonge dedans et on se laisse transporter... Puis comme devant une part de gâteau au chocolat on a envie de dire "quoi c'est tout?? J'peux pas encore en avoir?? Un tout petit peu... pour la gourmandise..."

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  4. C'est vrai qu'on aimerait en lire un peu plus, histoire de mieux comprendre certains éléments. je pense notamment à la dent et aux inscriptions qui s'effacent. Quel en est le sens?

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  5. Merci beaucoup Françoise et Elsa! :D
    Scalp, comme dit ailleurs, c'est un parti pris de n'en dire que très peu. J'aime bien conserver un peu de mystère :) M'enfin je me suis fait prendre à mon propre jeu puisque maintenant je suis harcelée pour une suite ^^

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  6. Bravo pour cette nouvelle si prenante, le texte nous transporte immédiatement dans un autre monde, c'est simple, précis, percutant,et je rêve déjà de me voir embarquée dans une saga pleine de de mystères et de personnages attachants... Les lecteurs voyageurs et gourmands attendent effectivement un nouvel embarquement, à quand un autre songer onirique si envoutant ? Merci !

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  7. Y a comme un goût de trop peu... Est-ce un bien, est-ce un mal ? Difficile à dire, d'autant que c'est un reproche que l'on me fait de temps en temps. La fin est rapidement prévisible, noyer un peu le poisson avant la conclusion eut sans doute été préférable. Reste l'écriture, fluide, agréable, et un récit qui, quoi que de facture plutôt classique, laisse entrevoir la promesse de textes plus aboutis. Affaire à suivre.

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